Fourier
mère veut à tout prix la
marier ; un jeune homme de Besançon nommé Combet s’est porté candidat. Fourier,
qui connaît les Combet, affirme avoir lui-même suggéré le conjungo en 1816.
Mais lorsque les pourparlers prennent un tour sérieux, il mène une enquête
détaillée, dont il conclut rapidement que les Combet sont « fort peu coiffés de
la Demoiselle » et « ne convoit[ent] que la dot ». Il conseille à son
beau-frère de trouver un autre prétendant. « Je ne pouvais m’en expliquer plus
clairement avec Parrat, écrira-t-il par la suite, qui croit que sa femme est la
Vraie Merveille du Monde et fait le charme de toute maison qu’elle honore de sa
présence. Lui-même tremble devant elle et répond à ses invectives : “ Eh ! Je
suis un gredin ! Ah ! Elle a bien de l’intelligence ! ” »
Fourier, en dépit de ses efforts, ne parvient pas à interrompre
le cours des négociations. Or, en août 1819, l’on se met à fredonner une
nouvelle chanson dans les rues de Belley : intitulée La Mariée de trois mois,
elle annonce que le mari d’Agathe, quel qu’il soit, se verra pousser des cornes
; quant au refrain « comme fait ma mère », il ne laisse subsister aucun doute
sur la situation peu glorieuse du mari de Sophie Parrat-Brillat. Celle-ci,
furieuse, accuse son frère (qui a effectivement réservé à Philibert
Parrat-Brillat une place de choix dans sa « hiérarchie du cocuage ») d’avoir «
diffamé » sa famille ; à des amis de Besançon elle écrit qu’Agathe est « tombée
sous ses coups ». Fourier proteste de son innocence et la colère de Sophie
finit par s’apaiser. L’épisode a tout de même jeté un froid et le benjamin ne
sera jamais plus véritablement bienvenu dans la famille Parrat-Brillat.
Ces différends familiaux ne sont pas seuls responsables du
retard que prend Fourier dans son travail. Les affaires du village prennent
bientôt le relais : au début de l’année 1820, Joseph Bruand, sous-préfet, fait
part à Fourier de la création imminente d’une société agricole à Belley et lui
annonce que son nom figure d’ores et déjà sur la liste des participants. Bien
qu’il ait acquis une certaine notoriété locale, Fourier est surpris de
l’invitation - elle fut sans doute suggérée par un ami de Bruand, Just Muiron -
qu’il accepte néanmoins avec plaisir.
Beaucoup d’académies d’arrondissement fondées au début de la
Restauration ont fait long feu et la Société d’agriculture, sciences et arts de
Belley n’échappe pas à la règle 4 .
Elle ne doit d’être sauvée de l’oubli qu’à la participation supposée de Fourier,
qu’attestent à peine les deux documents conservés dans ses papiers: une lettre
de Bruand invitant « C. Fourier, homme de lettres » à une réunion en la
sous-préfecture le dimanche 27 février 1820, « pour établir nos règlements » ;
et un carton d’invitation à la réunion du 30 juillet 1820 assorti d’un mot
manuscrit invitant Fourier, s’il le désire, à choisir une date pour la
présentation de son propre travail 5 .
Les papiers de Fourier recèlent tout de même plusieurs ébauches
manuscrites d’une Note remise à l'Académie de Belley, datée du 28 mai 1820 et
longue d’une vingtaine de pages, ainsi qu’un plus long Mémoire à l’Académie de
Belley 6 . Ces textes nous
permettent de retracer les différentes étapes qui mènent Fourier à une critique
systématique des petites exploitations fermières, en tous points semblable à la
critique du commerce élaborée à Lyon. L’analyse des « douze vices principaux »
des conditions et techniques agricoles propres à la région de Bugey y est par
exemple beaucoup plus fouillée que celles qui figurent dans les textes publiés 7 . Ces deux manuscrits éclairent également
certains aspects de la stratégie publicitaire de Fourier, notamment la façon
dont il adapte la présentation de sa doctrine aux besoins spécifiques d’un
public donné.
Dans le Mémoire, Fourier énumère les diverses « entraves »
propres à contrecarrer tout projet provincial de réforme agricole : pénurie de
capitaux, préjugés et misonéisme de la société provinciale, pauvreté des
fermiers, incompétence des clercs parisiens qui auraient à juger de leurs
propositions. Ce sont les partis pris locaux et le manque de fonds qui ont
compromis l’implantation d’une pépinière près de Belley, et qui condamneraient
similairement à l’échec tout projet de réforme
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