Fourier

des ajouts. En guise d’introduction, il décide de développer le petit
article sur la dette anglaise qu’il a envoyé au Censeur européen pour en faire
une « Dédicace aux nations endettées » longue de vingt pages. Le 10 février,
cette introduction est à peine achevée. Fourier écrit à Muiron que le travail
progresse lentement, ne glissant au passage qu’une allusion discrète à ses
démêlés avec les Parrat-Brillat : « D’autres affaires m’ont un peu distrait ces
premiers jours 25 . »
    Impatient de voir achevé l’ouvrage, Muiron en déduit que Fourier
s’est laissé distraire par des amusettes comme le plan d’embellissement de
Besançon. « Vous vous trompez », répond Fourier le 7 mars, « je n’y donne que
[le temps] qu’il faut employer en variante. » Mais d’autres problèmes ont surgi
entre-temps : en essayant d’écrire seize pages en une seule journée, il s’est
foulé le poignet. De plus, il ne se contente pas de recopier ses notes : il
récrit et réorganise sa matière première. Enfin, décidé, maintenant que la
fondation d’une Phalange d’essai paraît à l’ordre du possible, à « supprimer
tout le merveilleux et [à] le reléguer dans quelques chapitres d’aperçus 26 », il a adopté « un ton nouveau ».
    L’un de ces chapitres, que Fourier rédige en mars 1821,
s’intitule « Sur les Passes du Nord et la triple récolte 27 ». Dans ce long essai sur « le raffinage
atmosphérique », il prétend que lorsque la plus grande partie de la surface
terrestre sera mise en culture, il se produira des changements climatiques tels
que la température des pôles augmentera et que la calotte glaciaire fondra. Les
Quatre Mouvements et les notes manuscrites contiennent déjà de semblables
prédictions. Mais Fourier cherchait alors à déterminer les conséquences
logiques de sa théorie; maintenant qu’il a pour but essentiel d’attirer les
financiers, le point de vue est légèrement modifié : l’accent n’est plus sur la
théorie mais sur les résultats, et notamment sur les sources de profit. C’est
ainsi que le texte sur les passes du Nord prend la forme d’une « démonstration
» à l’usage des Anglais sur les avantages qu’ils auraient à fonder la première
Phalange d’essai. « C’est une démonstration bien précieuse pour l’Angleterre »,
précise Fourier à son disciple. « Ainsi nous devons de plus belle compter sur
elle pour l’essai 28 . »
    Vers la mi-avril 1821, Fourier quitte enfin Belley
définitivement. Il est resté plus longtemps que ne l’auraient souhaité les
Parrat-Brillat et son départ n’est pas regretté. Muiron est enchanté de le
retrouver à Besançon et Fourier lui-même est content de reprendre leurs
échanges quotidiens. « Je me réjouis, mon cher ami », écrit-il peu après son
arrivée, « de pouvoir converser un peu avec vous et, selon mon usage, vous
écrire quelques lettres à bout portant, de la main à la main ». Comme il
envisage de demeurer quelque temps à Besançon, plutôt que de retourner chez
Lubine, Fourier décide de louer un meublé. Muiron l’aide à prospecter. Après
avoir vainement marchandé des appartements de vingt francs, Fourier opte pour
une modeste chambre à onze francs au 73 rue des Granges. « Elle a l’avantage
d’être au premier », note-t-il. « C’est beaucoup pour moi, qui suis obligé de
remonter vingt fois pour un mouchoir oublié, un papier oublié. Souvent je
remonte trois fois avant de mettre le pied à la rue, et sous ce rapport, la
chambre du troisième me convenait peu 29 .
» Il s’agit ensuite de dénicher une pension dont la clientèle plaise à Fourier,
« pas une réunion de jouvenceaux ou une table entièrement composée de
militaires ». Une fois trouvée une maison qui répond à ces critères, Fourier
n’en déplore pas moins l’adoption par Besançon de la mauvaise coutume
parisienne qui consiste à déjeuner en milieu d’après-midi (nouvelle preuve de
la dépendance des provinces).
    Tout absorbé qu’il soit par son travail, Fourier trouve que
Besançon manque de distractions et sa pension, en fin de compte, d’animation.
Il s’interrompt parfois dans l’élaboration de son manuscrit pour noter
tristement :
    ... aujourd’hui même et dans la ville où je réside [...] il
suffit d’une misérable partie de billard pour distraire et enlever chaque jour
les convives d’une table bien servie, les entraîner au bout d’une demi-heure
quand ils