Fourier
Besançon. A l’automne 1820, il finit par avertir son neveu Georges de Rubat
que sa patience est à bout : la maison doit être vendue pour garantir sa rente 18 . En l’absence d’une réponse immédiate,
son impatience se change en soupçons hostiles : sa famille se serait-elle liguée
contre lui pour le priver de son héritage légitime 19 ?
Dès son arrivée à Besançon, il apprend que les valeurs
immobilières sont à la baisse et que la maison ne peut être vendue sans lourdes
pertes. Néanmoins, comme il le rappelle à son beau-frère Philibert
Parrat-Brillat, le testament de sa mère stipule noir sur blanc que ses trois
sœurs, « particulièrement et en premier ordre [sa] fille Sophie-Gabrielle »,
sont responsables du paiement de sa rente. Si le loyer n’y suffit plus, Sophie
doit se résigner à vendre, quelle que soit la moins-value 20 . Ces revendications, après l’affaire du
mariage d’Agathe, ne font qu’accroître l’irritation des Parrat-Brillat.
S’ensuit une correspondance envenimée qui culmine en menaces réciproques de
recours à la justice. Avant de quitter Besançon, Fourier se rend au Bureau de
la conservation des hypothèques afin de gager la maison contre les 15 946
francs auxquels il prétend avoir droit au titre de capital et d’arriérés 21 .
Quelques mois après son retour à Belley, la maison est vendue
pour 23 500 francs et il finit par toucher l’essentiel de sa rente. Mais
l’affaire n’est pas close pour autant et plus d’un an après, alors que le
Traité de l'association est sous presse, Fourier fait toujours valoir son droit
de réclamer des dommages et intérêts pour mauvaise exécution testamentaire de
la part de sa sœur 22 .
Fourier quitte Besançon à la fin du mois de janvier 1821. La
veille de son départ, il écrit à Muiron pour lui adresser « mille remerciements
pour les bontés dont [il l’a] comblé durant [son] séjour ». Il a passé sa
dernière matinée en « promenades récréatives » où il a « réglé tout ce qui se
trouvait à examiner d’après [leur] colloque avec Monsieur Lapret »,
l’architecte de la ville. Ils auront bientôt l’occasion de reparler du projet
d’embellissement de Besançon, mais « pour le moment », ce projet n’est «
d’aucun intérêt ». La préparation du manuscrit pour l’édition reste sa
principale préoccupation : « Rien ne me détournera de mes transcriptions [...]
Elles vont commencer dès que je serai réinstallé à Belley. » Après avoir promis
de revenir lorsqu’il aura réglé la vente de la maison avec les Parrat-Brillat,
Fourier conclut avec grandiloquence : « Travaillons de concert à la grande
affaire 23 . »
III
Le dernier séjour de Fourier à Belley s’étend sur près de trois
mois, de la fin janvier à la mi-avril 1821, et n’est guère plaisant : Fourier
découvre en arrivant que les Parrat-Brillat « ont commencé à répandre force
calomnies contre [lui] ». Sophie considère qu’il est allé trop loin dans son
obstination à vouloir vendre la maison de Besançon pour obtenir le
remboursement de son capital et des annuités qui lui sont dues. Ressuscitant
les vieilles querelles sur le mariage d’Agathe et la chanson déshonorante, elle
fait courir en ville le bruit que son frère est un infâme calomniateur, un
ennemi des femmes, et qu’il n’a accepté l’hospitalité de sa famille que pour
mieux s’immiscer dans les affaires de ses sœurs et nièces, à seule fin de les
ridiculiser. Ces « excès de calomnies », dixit Fourier, ont monté contre lui
toutes les femmes de Belley. Les épouses de quelques-uns de ses associés de
l’académie refusent même de le saluer dans la rue. La tension monte au point
que le maire de la ville finit par avertir Fourier des « manigances et menées
diffamatoires » de sa sœur. Certains des membres de l’académie étant
susceptibles de « prêter l’oreille aux calomnies », Fourier préfère
démissionner, mais non sans promettre d’écrire en temps voulu « un petit factum
» qui « débrouillera » toute l’histoire et « réduira beaucoup d’intrigants et
de marionnettes à leur juste valeur 24 ».
Tel est le climat dans lequel Fourier prépare la publication de
son traité. Il a expliqué à Muiron que le texte est virtuellement prêt : il lui
suffit de retrouver et de retranscrire des passages déjà rédigés dans ses
cahiers. Mais dès qu’il se remet au travail, il ne peut résister à la tentation
de faire
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