Fourier
de
constitution si frêle à la naissance (et affligé de surcroît d’un bras gauche
si atrophié qu’on le croit paralysé) que ses parents, craignant de ne pas le
voir survivre, le font baptiser le jour même : François Marie Charles Fourrier 15 .
II
Discourant plus tard de tel ou tel des trente-six « crimes » du
commerce, Fourier manquera rarement de souligner qu’il parle « en connaissance
de cause », élevé qu’il avait été « dès le berceau dans cette auguste confrérie 16 ». Il n’y avait là aucune exagération de sa part. Non seulement il était issu
d’une souche de négociants, mais il était même né dans un chambre située juste
au-dessus du magasin de son père. La maison des Fourier est une solide demeure
en pierre, avec un toit mansardé et un grand jardin. Le rez-de-chaussée est
entièrement occupé par les magasins et les bureaux du père de Fourier : la
famille vit dans les deux étages au-dessus. Construite au XVIe siècle, elle
était située en plein centre de Besançon, au 83 de la Grand-Rue, au coin de
l’ancienne ruelle Baron, aujourd’hui rue Moncey. Elle fut presque entièrement
démolie en 1841, mais à l’endroit où elle s’élevait jadis, une plaque commémore
aujourd’hui « Charles Fourier le Phalanstérien » : les touristes peuvent la
remarquer lorsqu’ils descendent la Grand-Rue pour aller visiter la cathédrale
ou la maison, au 140, où trente ans exactement après Fourier, Victor Hugo
devait voir le jour 17.
La presque totalité des renseignements que l’on a sur l’enfance
de Fourier provient des quelques pages de souvenirs que Lubine, sa sœur
préférée, dicta, quelques années après la mort de son frère, à trois de ses
disciples 18. Le portrait de
monsieur Fourier père qui ressort de ces souvenirs est celui d’un homme plutôt
distant, aimant certes son fils, son unique garçon, mais trop occupé par ses
affaires pour consacrer beaucoup de temps à ses enfants. Il meurt alors que
Charles n’a que neuf ans, de sorte que le jeune garçon, avec quatre sœurs et
aucun frère, grandit dans un milieu exclusivement de femmes, que domine sa
mère.
Mme Fourrier, que le très prudent Pellarin décrit comme «
méticuleuse et peu éclairée dans sa piété », semble, en fait, avoir été une
femme étroite d’esprit, d’une pruderie despotique, toujours à harceler ses
enfants, jetant un regard soupçonneux sur leurs extravagances et les mettant
sans cesse en garde contre les dangers de l’impiété et de la frivolité. Qu’il
prenne par hasard à ses filles la fantaisie de porter une jolie robe ou de
mettre un ruban dans leurs cheveux, et la voilà qui s’empresse de leur rappeler
que ce n’est pas ainsi qu’elles trouveront un mari « qui réunisse à la beauté
et à la richesse la vertu 19 ».
Lorsque Charles emploie à acheter des cartes ou des atlas l’argent qu’on lui
donne pour ses menus plaisirs, elle fait un tel esclandre que, dans sa
vieillesse, il se rappellera encore le jour où son père avait « conspiré » avec
lui « pour l’achat de cartes géographiques » que l’enfant voulait à tout prix,
mais que sa mère « considérait comme à peine digne d’une obole 20 ». Très tôt, il apprend à garder par
devers lui ses préoccupations intellectuelles. Plus tard, jamais il ne
soufflera mot à sa mère de ses écrits et, lorsque des amis lui parlèrent de son
premier livre, la pieuse vieille dame, semble-t-il, « tomba dans une grande
tristesse », à la perspective de voir son Charles devenir « comme un autre
Luther ou un autre Voltaire 21 ».
Fourier, d’après sa sœur, est un enfant précoce. « Charles était
très-jeune lorsqu’il a volé de ses propres ailes », raconte-t-elle. « Sa
facilité pour apprendre tout était extrême. » Il montre « une merveilleuse
aptitude » pour l’arithmétique, souligne-t-elle avec fierté.
Il ne va pas encore à l’école qu’il est déjà capable de faire de
tête les calculs les plus compliqués. La géographie le fascine. Il a également
beaucoup de goût pour la musique. Il avait, dit Lubine, « toujours su la
musique sans l’avoir apprise » : il joue de plusieurs instruments et sait
déchiffrer une partition à vue. Amateur de « théorie musicale », il reprochera
souvent à ses sœurs d’avoir appris la musique par les méthodes traditionnelles,
car lui « avait trouvé une méthode d’après laquelle il était certain
d’apprendre à toute personne en moins
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