Fourier
grises,
Besançon, sa capitale et la ville natale de Fourier, est une cité charmante
quoiqu’un peu somnolente, située dans un méandre encaissé du Doubs, dominé par
l’impressionnante citadelle construite d’après les plans de Vauban au lendemain
de la conquête française de 1674. Peuplée d’environ trente mille habitants,
elle possède quelques petites industries et sert de marché à une région riche
en mines de fer et de sel, en fermes laitières et en vignobles.
A la fin de l’Ancien Régime, l’importance de Besançon tient
moins, toutefois, à son activité économique qu’à son rôle administratif,
militaire et religieux. Là se trouve le siège archiépiscopal ; le plus grand
propriétaire foncier et employeur de la ville est l’Eglise catholique, qui
règne sur la cathédrale, sept églises paroissiales, mais aussi quatre abbayes,
six hôpitaux, huit monastères, dix couvents, un grand collège tenu par des
prêtres séculiers, un « grand et vaste » séminaire et une « maison de force »,
dite du Bon Pasteur, « pour contenir les filles de mauvaise vie ». Ville-frontière,
Besançon est une place forte où l’armée tient également une grande place : une
école d’artillerie, une citadelle qui abrite en permanence une nombreuse
garnison. L’importance de la cité est, toutefois, au premier chef d’ordre
administratif, puisqu’elle abrite le gouvernement, l’intendance, le parlement,
le Bureau des finances, le bailliage et le présidial 2 .
Tout cela ou presque allait bientôt s’évanouir avec la
Révolution, qui réduira la taille du diocèse de Besançon et rabaissera
l’orgueilleuse capitale provinciale au rang de simple chef-lieu de département.
Fourier aura pour lors quitté sa ville natale, mais on le verra parfois
tempêter contre la manière dont on l’avait traitée : comme « un paria, un
proscrit... la Cendrillon des capitales 3 ». Jamais toutefois il ne sera homme à perdre son temps en nostalgies et à
regretter, comme les notables du cru, l’époque où « Besançon pouvait passer
pour riche avec son gouvernement provincial, son intendance, son archevêché et
son parlement », quand le ton était donné à la vie locale par les nobles « dont
les besoins, les usages et le luxe faisaient circuler l’argent et fournissaient
l’aliment au commerce 4 ».
I
Fourier grandit dans un milieu de bourgeoisie commerçante
prospère, mais où l’on a, d’un côté comme de l’autre de la famille, des
prétentions à l’aristocratie. Du côté maternel, un de ses oncles a acheté des
lettres de noblesse. Côté paternel, la tradition familiale fait descendre les
Fourier d’un négociant du nom de Dominique Fourier anobli par le duc de
Lorraine en 1591. Entré dans les ordres, un des fils de ce Dominique Fourier,
Pierre Fourier, a été béatifié au XVIIe siècle (il sera canonisé à la fin du
XIXe) pour le rôle qu’il a joué dans la réforme des chanoines réguliers de
Lorraine et dans la fondation de la Congrégation des religieuses de Notre-Dame
pour l’instruction des jeunes filles. Les autres descendants de Dominique
Fourier ont quitté la Lorraine pour s’établir une branche en Bourgogne, l’autre
en Franche-Comté, où est né le père de Charles. Bien qu’on n’eût jamais pu
établir, preuves à l’appui, cette filiation, tout le monde, dans la famille
Fourier, la tient pour avérée. Plus tard, une des nièces de Charles Fourier
sera d’ailleurs admise à titre gratuit dans un monastère de la Congrégation de
Notre-Dame en sa qualité de descendante directe du fondateur et, dans sa
vieillesse, on verra Charles Fourier lui-même parler du réformateur catholique
en l’appelant, sans trace perceptible d’ironie, « mon saint oncle 5 ».
Sur plusieurs générations, les ancêtres de Charles Fourier ont
sans doute été, pour la plupart, de petits commerçants et des artisans de
Dampierre-sur-Salon, chef-lieu de canton situé à quelques lieues de Gray. Son
grand-père, Joseph Fourier, était, semble-t-il, fondeur à Dampierre. Son père,
qui orthographie son nom « Fourrier » (avec deux « r »), naît en 1732. Il
travaille quelque temps à Dampierre, avant de venir, au début des années 1760,
s’établir comme marchand de draps à Besançon. Il n’est pas homme de grande
culture, mais il a le sens des affaires : il connaît une certaine réussite dans
sa ville d’adoption, où son ascension sociale est facilitée par un mariage
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