Fourier
à
ma prière ; ensuite j’abordais la liste énigmatique pour moi, et m’accusais
d’avoir fait de la luxure (j’avais sept ans). « Vous ne savez ce que vous dîtes
», me répond le vicaire. Je m’arrête un peu interdit. « Allons, voyons,
achevons. » Je continue et je m’accuse d’avoir fait de la simonie. « Ah ! de la
simonie ! Allez, vous dîtes des bêtises. » Moi, fort embarrassé, je tâche de
jeter la faute sur autrui, et je lui réponds : « On m’a dit chez nous de me
confesser de ça. » Nouvelle semonce du pieux vicaire. « Vous êtes un petit
menteur, on ne vous a pas dit ça ! » Je terminai là ma savante confession 29 .
Avec l’âge, Fourier perdra sa terreur des chaudrons bouillants.
Jamais, en revanche, ne le quittera le ressentiment envers la manière dont
l’Eglise pouvait mystifier les enfants et exploiter leurs peurs.
Dans les écrits de sa maturité, l’abus tyrannique, par les
parents, les prêtres ou les professeurs, de l’autorité qu’ils exercent sur les
enfants allait être un thème majeur de la critique par Fourier de la «
civilisation ». Fréquemment, traitant de ce sujet, il dira clairement parler
d’expérience. Les repas, en particulier, semblent lui avoir laissé d’amers
souvenirs. « Que de férules n’ai-je pas reçues pour refus de manger raves et
choux, orge, vermicel et drogues morales, qui me causaient des vomissements,
outre le dégoût 30 ! » Un incident
de ce type, en particulier, lui est resté gravé dans la mémoire. Le tyran,
cette fois, est son instituteur, « le pédant ».
Un jour à dîner chez le pédant, j’escamotais un gros
quartier de rave cuite qu’il avait servi sur mon assiette, car il me haïssait
et voulait me faire avaler des raves. Je cachais adroitement cette rave entre
mes habits, et, lorsqu’on sortit de table, je me levain des derniers. Je laissai
sortir la foule et saisis l’instant favorable pour jeter la rave par la
fenêtre, qui était ouverte en été, mais par frayeur et précipitation, j’ajustais
mal et la rave tomba sur un escalier de bois, où passait quelqu’un, qui se
récria. Le pédant arriva, je fus pris en flagrant délit, forcé d’aller quérir
la rave enduite de poussière, et de la manger pour l’honneur de la morale
outragée 31 .
A en croire Fourier, ce genre de tourments était pour lui
monnaie courante. Dans son enfance, il aurait été « fouetté chaque jour avec
une lanière de cuir », criblé de « férules appliquées à doigts relevés »,
supplice qui, dit-il, lui « causait fréquemment des panaris et faisait tomber
tous [ses] ongles, avec des douleurs affreuses 32 ».
Vu ce qu’on sait de l’éducation et de la discipline sous
l’Ancien Régime, on ne doit rien exclure. On peut douter toutefois que Fourier
ait vraiment été l’enfant martyr qu’il prétend. Benjamin de la famille, et seul
garçon de surcroît, il jouissait, c’est clair, d’un statut privilégié au sein
de la constellation familiale. A ce que Pellarin laisse entendre, on lui
passait pas mal de ses excentricités et, d’après Lubine, Fourrier père avait un
faible marqué pour son fils. Parmi les souvenirs de Lubine figure par exemple
cette scène de repas où toute l’intransigeance du père ne parvient pas à avoir
raison de la résistance digestive du fils.
Mon frère était très-délicat sous le rapport des mets; dans
son enfance, papa, qui voulait l’habituer à manger de tout, parce que,
disait-il, on ne sait dans quelle position on doit se trouver dans la vie, le
força un jour à manger des poireaux ; le pauvre Charles fut si malade, si
malade, il eut des vomissements si violents, que mon père, qui l’aimait comme
on aime un fils unique, fut très-inquiet et qu’il se promit bien de ne plus
forcer les goûts de son fils et de le laisser se conduire à l’égard du manger
comme il l’entendrait 33 .
Dans le souvenir de ses camarades d’école, Charles faisait
souvent preuve d’une volonté obstinée : il se peut que les quelques occasions
où ses parents ou instituteurs usèrent de coercition à son égard ne lui aient
laissé un souvenir si vif qu’en raison précisément de leur rareté. L’important
est que Fourier se soit vu comme un martyr, tyrannisé par ses parents et ses
professeurs. Plus tard, imaginant son utopie, il y insistera : la discipline
des enfants devrait être laissée à leurs pairs, et le rôle des parents se
borner à les consoler, les cajoler et obéir à
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