Fourier
Il se montre totalement réfractaire à l’idée que l’éducation
doive renforcer les rôles traditionnels et inculquer aux femmes la soumission
aux hommes. Enfin, si Rousseau et Pestalozzi ont postulé que travail manuel et
activité intellectuelle doivent aller de pair, plus qu’eux, Fourier insiste sur
l’importance fondamentale du travail dans le plein accomplissement de soi. Il
est convaincu, et c’est là un trait spécifique de sa pensée, que chaque enfant
est naturellement attiré par certains types de travaux.
II
L’« incohérence » du système éducatif traditionnel est pour
Fourier l’un des vices les plus pernicieux. Entre ce que l’on enseigne à
l’école et ce que les enfants peuvent apprendre de leurs pairs ou parents,
nulle harmonie : les professeurs recommandent l’amour du pays, « le mépris de
richesses perfides et autres sornettes ». Les pères, à coup d’exemples et de
préceptes, invitent à sacrifier la moralité quand l’argent est en jeu ; quant
aux camarades, ils professent le plus grand mépris pour tout avis parental ou
professoral. En outre, l’éducation varie en fonction de la fortune et du statut
de l’intéressé. Il en résulte inévitablement confusion et conflits, que ce soit
dans l’esprit de l’étudiant et dans la société en général 6 .
Pour éviter les conséquences d’une telle incohérence, Fourier
tient à ce que l’Harmonie propose « un système d’éducation qui [soit] UN pour
toute la Phalange et pour tout le globe 7 ».
Les enfants n’y seront pas enfermés tout le jour dans des salles de classe, et
leur éducation ne sera pas confiée à leurs parents biologiques dans le cadre
d’une cellule familiale isolée. Ils seront élevés collectivement, au sein de
plusieurs groupes ou « chœurs » successifs. Dans la plupart de ses prévisions,
Fourier propose huit groupes, depuis celui des nourrissons (jusqu’à dix-huit
mois) jusqu’à celui des jouvenceaux * (de quinze ans et demi à vingt ans).
* La nomenclature et le découpage par âge des chœurs sont
l’objet de fréquentes modifications de la part de Fourier. En simplifiant, l’on
trouve : les nourrissons (jusqu’à dix-huit mois), les poupons (de dix-huit mois
à trois ans), les bambins (de trois ans à quatre ans et demi), les chérubins (
de quatre ans et demi à six ans et demi), les séraphins (de six ans et demi à
neuf ans), les lycéens (de neuf à douze ans), les gymnasiens (de douze à quinze
ans et demi) et les jouvenceaux (de quinze ans et demi à vingt ans). Voir OC V,
7, 13, 54-55 ; OC VI, 170, 205 ; OCX, PM (1851), 115 ;PM (1852), 106.
Comme beaucoup d’utopistes, de Platon aux fondateurs des
kibboutsim en Israël, Fourier prêche en faveur d’un système d’éducation
communautaire. Dès leur naissance, les enfants d’une Phalange sont placés dans
une crèche, où ils ne sont pas emmaillotés et attachés dans des berceaux, mais
reposent dans des hamacs spécialement conçus pour leur permettre de bouger
librement et d’observer la vie alentour. Leurs parents biologiques ont droit de
visite et leurs mères les nourrissent au sein (bien que Fourier reproche à
Rousseau de préconiser dogmatiquement le lait maternel quelles que soient les
circonstances 8 ). Le reste du
temps, ils sont confiés à des nourrices professionnelles, recrutées parmi cette
minorité de femmes qui selon Fourier « se passionne pour les soins de la petite
enfance 9 ». Quelques jours après
leur naissance, après qu’on a observé leur comportement, les enfants sont
placés dans l’un des trois groupes suivants : les enfants calmes, les enfants
turbulents et les petits diables. Chaque groupe a sa crèche et ses bonnes
attitrées. De cette façon, les cris incessants des petits diables ne troublent
pas les enfants plus calmes et les bonnes les plus patientes et dévouées
peuvent se consacrer entièrement aux premiers 10 .
Durant les deux premières années, l’accent est mis sur le
développement des sens. Pour parfaire l’ouïe des nourrissons, à partir de l’âge
de six mois, l’on donne dans la crèche de petits concerts. Plusieurs fois par
jour, l’on y chante des trios et des quatuors ; et dès qu’ils savent marcher,
l’on encourage les enfants à suivre le rythme des instruments. On s’emploie
également à développer l’acuité de leur perception auditive, à leur donner « la
finesse d’ouïe des rhinocéros et des cosaques ». Les autres sens sont
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