Fourier
des
souverainetés d’Harmonie », preuve de l’importance qu’il accordait à cette
hiérarchie 35 . Ces titres n’en
restent pas moins essentiellement honorifiques ; ils ne confèrent aucun pouvoir
ou presque, et ne servent qu’à gratifier la « convoitise des dignités » dont Napoléon
ou Louis XIV ont démontré qu’elle est un trait essentiel de la nature humaine.
Si Fourier semble s’intéresser plus à cette « convoitise » qu’à
l’exercice du pouvoir, il n’est tout de même pas vain de revenir à la question
: quelles sont les méthodes de répression et de contrôle de la Phalange, si
tant est qu’il en existe ? En général, Fourier esquive la question. Il veut
bien considérer l’hypothèse d’un petit enfant qui arracherait des fleurs
plantées par d’autres : « Il y aurait lésion et motif de répression »,
reconnaît-il, tout en s’empressant d’ajouter que « cette malfaisance, ce
vandalisme, ne pourraient se rencontrer que chez un enfant arrivant de
civilisation et jamais chez ceux élevés dès le bas âge en Association 36 ». Et si malgré tout un enfant harmonien
dépassait les bornes ? Quand la discipline s’impose, répond Fourier, elle ne
doit pas être le fait de quelque autorité distante, mais doit être exercée par
le groupe auquel appartient le contrevenant : généralement, elle se traduit par
de simples railleries ou plaisanteries. Mais les groupes, et notamment les
groupes d’enfants, peuvent à l’occasion se montrer les plus cruels comme les
plus efficaces des maîtres 37 .
Fourier dote tout de même son système de quelques autres
instances ou pratiques plus ou moins disciplinaires : par exemple, les membres
d’un groupe dont les produits sont mauvais ou inadéquats se verront obligés par
les autres groupes de porter une banderole noire indiquant qu’ils ont été «
éclipsés 38 » ; ou encore,
quiconque révoque un legs en faveur d’un partenaire ou d’un enfant adoptif sera
exclu de la Cour d’amour et devra porter un brassard jaune 39 . Mais soyons plus général : comme
beaucoup d’utopistes, des Grecs anciens jusqu’aux Huttériens, Fourier pense que
la pire punition et la meilleure arme de dissuasion serait l’exclusion, le
rejet, par son groupe de travail, sa troupe scolaire, ou son cercle amoureux,
de l’individu fautif. Fourier ne l’envisage cependant que comme mesure
temporaire et limitée à certaines activités seulement d’un même individu au
sein de la Phalange : on peut ainsi empêcher quelqu’un de participer aux
réunions d’un groupe particulier pendant un certain temps, lui ôter le droit
d’assister aux Cours d’amour nocturnes, ou tout simplement le garder au lit entre
quatre et cinq heures du matin, pendant le « parcours » ou tour des plaisirs
quotidiens 40 . Mais peut-on bannir
quelqu’un totalement ? Fourier semble en avoir envisagé l’éventualité et l’on
trouve dans ses manuscrits un curieux passage consacré au sort de l’exilé. Si,
dit-il, quelqu’un voyage seul en Harmonie, et sans papiers d’identité, « on
juge que c’est un criminel qui voyage par bannissement ». Comment traite-t-on
ce criminel ?
On a pour lui des égards comme nous en avons pour
l’assassin qu’on mène au supplice et à qui la loi même accorde tout ce qu’il
demande au moment de la mort. Si un homme n’est pas banni en Harmonie, il ne
s’avisera guère de voyager seul 41 .
Ces mots sont d’autant plus poignants que leur auteur a passé
une grande partie de sa vie à voyager en solitaire.
V
En décrivant les diverses structures et institutions de la
Phalange, Fourier obéit à un constant souci de rendre le monde harmonien aussi
tangible que possible pour ses lecteurs. Il donne vie à sa théorie en parsemant
ses écrits d’« aperçus » du nouvel ordre, et de vignettes dont les héros sont
Cléon le sybarite, la vestale Galatea, Damon l’amoureux des fleurs, et Ithuriel
le patriarche. Prenons l’exemple d’Irus le poète : dans le monde civilisé, il
mourrait de faim sous une mansarde ; en Harmonie, ses talents seront
immédiatement reconnus. Enfant, il sera l’éditeur de la « Gazette de la
chevalerie », et à treize ans, il se verra accorder le titre de « Haut Roitelet
du Globe ». Avec le temps, il deviendra « l’égal d’Homère » et grâce à la
protection des droits d’auteur en Harmonie, il n’aura pas à se soucier du
plagiat ou de la reproduction sauvage. Il y a également Céliante et
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