Fourier
noble
de l’homme, [l’Harmonie] débute par perfectionner longtemps la portion
subalterne ou moule matériel, et le former à toutes les habitudes qu’elle veut
donner à l’âme, c’est-à-dire à la justesse, à la vérité, à l’unité, à l’horreur
de tout ce qui blesserait ces vertus sociales 16 .
Si l’épanouissement de ces « vertus sociales » constitue le but
de l’éducation harmonienne, quels en sont les moyens ? Pour donner aux jeunes
harmoniens une préparation adéquate, Fourier a recours à deux formes
d’activités qui n’ont pas leur place dans l’éducation traditionnelle : la
cuisine et l’opéra.
L’importance de la cuisine dans le projet éducatif de Fourier repose
essentiellement sur le postulat que la gourmandise est la passion dominante
d’une écrasante majorité d’enfants 17 .
Or, en civilisation, l’accès à la cuisine est interdit aux enfants, de peur qu’ils
ne cassent la vaisselle, ne se brûlent, ne se coupent ou s’ébouillantent :
preuve supplémentaire, s’il en fallait, de l’aveuglement des parents et des
moralistes. Il suffit de prendre les précautions qui s’imposent pour que la
cuisine devienne une remarquable école de dextérité manuelle et de
savoir-faire. La gourmandise et la curiosité de l’enfant éveilleront son intérêt
pour l’art culinaire, qui servira à son tour de prélude à l’étude de la chimie,
de la biologie et de l’agronomie. Enfin Fourier soutient qu’il n’est pas de
meilleure introduction au travail attrayant que la cuisine, où la préparation
de crèmes sucrées, compotes, pâtisseries, confitures et autres desserts fournit
« mille sources d’intrigues industrielles 18 ».
Les cuisines harmoniennes seront donc pour l’enfant l’occasion de découvrir à
la fois les sciences et le monde du travail.
Parallèlement à la cuisine, le jeune harmonien s’initiera à
l’opéra, que Fourier, comme beaucoup de ses contemporains, considère comme
l’annonce de « l’art total » parce qu’il mêle en une merveilleuse harmonie
musique, danse, poésie et graphisme *.
* Sur la conception fouriériste de l’opéra comme «
l’assemblage de tous les accords matériels mesurés », voir OC V, 76-77. Fourier
met en valeur le fait que l’opéra en Harmonie comprendra de la gymnastique et
beaucoup de formes populaires d’art de la rue que dédaigne la société civilisée.
« On n’admet que peu ou point la gymnastique à l’opéra civilisé : elle est
réputée genre populaire, et reléguée sur les petits théâtres. C’est dépravation
de goût, et non pas raffinement. Toutes les harmonies matérielles sont nobles :
mais comme les grotesques, funambules, sauteurs, etc., plaisent au peuple, ils
ont dû être disgraciés par la haute compagnie civilisée, qui répugne le peuple
et ses goûts. La gymnastique rentrera en faveur dans un état de choses où les
grands et le peuple seront UNS par le ton et les manières. » OC V, 77.
« Une salle d’opéra est aussi nécessaire à une Phalange que ses
charrues et ses troupeaux. Ce n’est pas seulement pour l’avantage de se donner
dans le moindre canton un spectacle aussi brillant que ceux de Paris, Londres
et Naples ; c’est pour éduquer l’enfance, la former au matériel d’Harmonie 19 . » Fourier en est lui-même adepte
fervent, mais il reconnaît que pour beaucoup de ses contemporains l’opéra n’est
« qu’une arène de galanterie et un appât à la dépense ». En Harmonie, l’opéra
sera gratuit ; la plupart des membres de la Phalange y participeront d’ailleurs
activement, d’une manière ou d’une autre. Cet « assemblage de tous les accords
matériels, et emblème actif de l’esprit de Dieu, ou esprit d’unité mesurée 20 », jouera un rôle irremplaçable dans
l’éducation des plus jeunes car c’est en prenant part aux chorales ou aux
ballets que l’enfant, pour la première fois, apprendra à « se subordonner en
tout mouvement aux convenances unitaires, aux accords généraux 21 ». L’opéra sera donc « l’école matérielle
» de l’unité, de la justice et de la vérité, toutes qualités dont seront
empreintes les relations humaines au sein de la Phalange. Éphémère évasion loin
d’un monde discordant pour la civilisation, il sera dans le Phalanstère un
reflet de l’harmonie sociale.
III
Si, jusqu’à neuf ans, l’on veille surtout à développer les sens
et les capacités physiques de l’enfant, c’est ensuite
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