Fourier
tout
particulièrement sur le rôle de l’éducation dans les débuts de l’Harmonie. «
C’est [...] par l’éducation qu’il faut commencer, d’autant mieux qu’elle sera
la branche de mécanisme qu’on devra organiser la première, parce que les
enfants, n’étant que peu faussés par les préjugés et les défiances, seront plus
dociles à l’attraction que les pères 2 .
» Il ne démordra pas de cette idée. A la fin de sa vie, alors qu’il a abandonné
tout autre espoir, il reste convaincu qu’une petite Phalange d’enfants pourrait
être la première pierre de l’Harmonie.
I
Fourier, lorsqu’il aborde la question de l’éducation, est
parfaitement conscient de la longue tradition à laquelle il se rattache.
Certes, il ne professe pas grand respect pour ses prédécesseurs :
Il n’est pas de problème sur lequel on ait plus divagué que
sur l’instruction publique et ses méthodes. La nature, dans cette branche de
politique sociale, s’est fait de tout temps un malin plaisir de confondre nos
théories et leurs coryphées, depuis l’affront essuyé par Sénèque, instituteur
de Néron, jusqu’aux échecs de Condillac et Rousseau, dont le premier ne forma
qu’un crétin politique, et le second n’osa pas essayer l’éducation de ses
propres enfants 3 .
Malgré ces jugements quelque peu péremptoires, Fourier semble
plus documenté sur l’éducation que sur tout autre sujet. Les références
répétées à Rousseau ou à Fénelon dénotent une connaissance certaine de leurs
œuvres 4 . Il semble également avoir
pris la peine de se renseigner sur les théories et les expériences en cours à
son époque, qu’il s’agisse des travaux de Pestalozzi en Suisse, ou des
tentatives d’introduction en France du système « d’enseignement mutuel » par
les épigones d’Andrew Bell et Joseph Lancaster *. Il existe donc des
passerelles entre les idées de Fourier et celles de ces écoles et, plus
généralement, de tout le mouvement éducatif libéral issu de Rousseau.
* Fourier a pris connaissance des travaux de Pestalozzi par
des articles du Moniteur officiel et des conversations avec des gens qui
avaient fréquenté des étudiants de l’école du réformateur suisse à Yverdon. Il
rejette la méthode intuitive de Pestalozzi mais ajoute : « Je n’en regarde pas
moins son pensionnat comme un des meilleurs de l’Europe, en ce qu’il gouverne
les enfants avec douceur, et sait se concilier leur affection. » OC X, PM
(1851), 36. Voir également OC VI, 220, 240-241.
Fourier reconnaît que l’idée selon laquelle les
meilleurs professeurs sont des enfants un peu plus âgés n’est pas sans rapport
avec le système de « l’enseignement mutuel », qui est au centre des débats sur
l’éducation en France entre 1815 et 1820. « Les philosophes nommés Lancastriens
et mieux Mutualistes paraissent avoir eu quelque légère idée [de l’éducation
attrayante] », écrit-il en 1822 (OC IV, 155). Il prend cependant la peine de
distinguer sa propre méthode, « le mutualisme composé convergent », du «
mutualisme simple, récemment introduit dans les écoles civilisées ». OC V,
291-298.
Comme Rousseau et ses successeurs, Fourier pense que l’éducateur
ne doit pas se donner pour but d’inculquer aux enfants une somme de
connaissances, ni d’éradiquer en eux les traces du péché originel, mais celui
de leur faire peu à peu découvrir et exprimer leur nature véritable. Comme eux,
il se représente très bien les dangers d’une éducation par trop livresque et
intellectuelle. Il partage leur aversion, et celle de beaucoup de réformateurs
de l’époque, pour la traditionnelle distinction entre une éducation manuelle et
une éducation intellectuelle, respectivement réservées aux pauvres et aux
riches. Pour Fourier comme pour Rousseau, il s’agit de former à la fois le corps et l’esprit, et
l’accent, tout du moins dans les premières années, est mis sur le développement
physique plutôt que sur les facultés intellectuelles.
Certains aspects de la théorie éducative de Fourier sont en
revanche diamétralement opposés aux idées de l’école rousseauiste. Ridiculisant
la célébration de la famille chère à son aîné, il rejette vigoureusement l’idée
selon laquelle le père serait « l’instituteur naturel » de l’enfant 5 . Il ne partage pas non plus les réticences
de Rousseau et de nombreux autres à accorder aux femmes les mêmes chances
qu’aux hommes.
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