Fourier
civilisée - une parodie qui met cette société familière à l’envers,
tête en bas.
Partout dans les écrits de Fourier on rencontre de la parodie :
parodie du discours du moraliste prudent, qui cherche en tout la voie moyenne,
ou parodie du philosophe optimiste, volant à tire-d’aile vers « le sublime
perfectionnement de la perfectibilité ». Parodiques, également, certains
aspects de l’utopie imaginée par Fourier. On a déjà souligné que la Bourse
d’Harmonie est une gentille parodie de Bourse civilisée, et qu’en Harmonie les
guerres prendraient la forme de concours gastronomiques : on jugerait du renom
d’une nation à l’art avec lequel ses maîtres queux savent réussir l’omelette
soufflée ou la crème fouettée. De même, les Petites Hordes sont une manière de
canaliser la violence des hordes barbares pour l’adapter au monde
post-civilisé, mais aussi une parodie de la vie monacale. Dans Le Nouveau Monde
amoureux, toutefois, cette inspiration parodique est plus marquée que nulle
part ailleurs et porte tout particulièrement sur les institutions, rites et
traditions de l’Église catholique.
La cour d’amour, avec son pontife féminin, ses prêtres et
confesseurs, ses fakirs et ses fées est, à plus d’un égard, une version
parodique de la hiérarchie ecclésiastique catholique. Ses dignitaires ont le
pouvoir d’accorder des « indulgences », d’imposer des « pénitences », de lever
des « dîmes amoureuses ». En cas de péché grave, ils peuvent même aller jusqu’à
l’excommunication : ce qui ne serait pas une menace en l’air, souligne Fourier,
puisque cela signifierait l’exclusion sur-le-champ de la cour d’amour, et non
simplement la perspective « vaine » d’un châtiment dans quelque lointain au-delà.
De toute manière, les péchés, en Harmonie, seront peu fréquents et aisément
pardonnés : il ne s’agira la plupart du temps que d’infractions mineures, comme
de s’être gavé sans discernement, ou d’avoir décliné de manière discourtoise
des avances sexuelles. Le pécheur pourra toujours gagner une « indulgence » en
faisant la charité sexuelle à un nécessiteux 42 .
A l’instar de l’Église catholique, l’Harmonie a ses saints, ses
anges, ses croisades. La seule différence, c’est qu’on y est canonisé au vu de
ses prouesses amoureuses ou gastronomiques, et la seule croisade que Fourier
décrit par le menu, « la croisade faquirique des pieux savetiers [et non plus
chevaliers] d’Occident », est « une grande orgie, soigneusement orchestrée,
accompagnée d’océans de vin pétillant et de tonnes de petits pâtés 43 ». Comme dans le catholicisme, il y a des
anges, mais ici ils vont par couple, ange et angesse, et se consacrent tout
entiers à des « œuvres pies » de bienfaisance sexuelle envers les pauvres, les
vieux, les disgraciés : les faveurs érotiques dispensées par ces couples
angéliques seront, promet Fourier, comme « un baume de sainteté » pour tous
leurs amants, qui ne s’approcheront « qu’avec un saint respect, comme les
chrétiens lorsqu’ils mangent à la sainte table le pain avec des anges
imaginaires 44 ».
Tout candidat à la sainteté se verra imposer, comme il se doit,
de rigoureuses épreuves, mais Fourier s’élève contre « l’idée ridicule » de
récompenser du titre de saint des « pratiques inutiles », telle la prière ou l’ascétisme
: en Harmonie, les sept épreuves que le novice aspirant au grade de « sainteté
mineure » devra passer iront de payer, à titre de patente, le tribut amoureux à
toutes les dames Révérendes Vénérables et Patriarches de la Phalange, jusqu’aux
épreuves transcendantes en polygamie, puis en « omnigamie graduée, ou série de
16 orgies balancées ». Cette différence mise à part, en Harmonie comme en
Civilisation, la route de la sainteté sera escarpée et longue : le noviciat n’y
durera pas moins de trente ans 45 .
Fourier voulait-il vraiment qu’on prît tout cela au pied de la
lettre ? On ne peut pas exclure qu’il ait été le plus sérieux du monde. Selon
toute probabilité, plutôt que d’esquisser ce que pourraient être,
littéralement, les institutions de la société future, il a sans doute voulu
évoquer le nouveau monde riche et merveilleux qui ne s’ouvrirait qu’en mettant
à l’envers le catholicisme traditionnel. Peupler son nouveau monde amoureux de
prêtres et de confesseurs, de saints et de pécheurs, imaginer des
Weitere Kostenlose Bücher