Fourier
se
rencontrer et de nouer de nouvelles relations. Afin de rendre ces rencontres
aussi enrichissantes que possible, la hiérarchie amoureuse de chaque phalange multipliera
les préparatifs pour réserver le meilleur accueil aux hordes de visiteurs. La
mission de ces dignitaires ira de la confection du punch à l’organisation des
orgies, mais leur tâche primordiale sera de gérer un système complexe
d’assortiment par affinités érotiques.
Ce travail d’assortiment par « sympathies » sera facilité par la
consultation d’un dossier et de fiches indiquant le type passionnel et les
penchants amoureux de chaque membre de la Phalange. Les voyageurs, eux aussi,
portent « en panache ou épaulettes les signes de [leurs] passions ». Il y a de
la Papillonne en chacun de nous : un voyageur peut parfaitement être pris d’un
caprice momentané étranger à la configuration habituelle de ses passions.
Chacun aura périodiquement un entretien permettant de définir son profil
libidinal. Ces entretiens sont conduits par une « confesseuse » : une femme
d’âge canonique, assistée dans cette tâche par des Harmoniens fins psychologues
: matrones, fées ou fakirs. On ne peut confier, Fourier y insiste, ce genre
d’examen psychologique à des jeunes : il y faut trop d’expérience amoureuse et
d’intuition. Cette mission d’entremise amoureuse aura ainsi, de surcroît,
l’avantage de donner occupation et prestige, voire un regain de vie sexuelle, à
la classe qui est de toute la plus opprimée en civilisation : les vieux. Une
confesseuse adroite non seulement tirera du prestige de son habileté à faire
jouer les ressorts de chaque intrigue et à satisfaire les voyageurs par ses
conseils, mais le cas échéant elle saura discerner (voire faire naître) dans
l’âme de son jeune client un penchant pour les personnes âgées, et le
satisfaire elle-même 30 .
La sollicitude de Fourier envers les vieux, les pauvres, les «
pervers », tous ceux que la civilisation exclut du plaisir sexuel, l’amène à
créer toute une variété de corps et d’institutions spécialisés dans la
philanthropie sexuelle. Les fakirs et fakiresses, par exemple, ont pour mission
d’accorder leurs faveurs sexuelles à tous les laissés-pour-compte lors de
l’assortiment érotique. Il y a aussi les bacchantes, qui suivent les armées
industrielles et besognent la nuit sur le champ de bataille de l’amour à
apporter la consolation aux soupirants éconduits des Vestales. De même qu’il
existe, Fourier le reconnaît, des travaux répugnants, certaines formes de
philanthropie sexuelle n’ont rien en soi de très ragoûtant. Dans la Phalange,
il y a des Petites Hordes pour se charger des sales besognes. Même chose en
matière d’amour : il y aura dans chaque Phalange une « noblesse amoureuse »,
qui aura pour tâche d’apporter la jouissance érotique à tous ceux qui, de par
leur vieillesse ou un physique disgracieux, seraient dans la civilisation
condamnés à la solitude.
On appelle, en Harmonie, « noblesse d’amour » « la classe d’âmes
fortes et raffinées qui savent subordonner l’amour aux convenances de
l’honneur, de l’amitié et des affections indépendantes du plaisir 31 ». Dans chaque phalange, au sommet de la
hiérarchie de cette classe, se trouve le « couple angélique » : deux amants
vertueux et courtois, liés l’un à l’autre, temporairement du moins, par des
liens sentimentaux si transcendants qu’ils n’éprouvent pas de désir physique
l’un pour l’autre ; leur manière de montrer leur dévotion à leur conjoint est
de se dévouer avec générosité à la philanthropie érotique 32 . Tels des versions altruistes du Valmont
ou de la Merteuil de Laclos 33 , ils
jouent chacun pour l’autre le rôle de rabatteur et vont chercher dans la
communauté des gens privés de faveurs sexuelles. Ce couple angélique, souligne
Fourier, manquera certes de la jouissance matérielle réciproque, mais « par
combien de plaisirs cette lacune sera compensée » ! Ils auront non seulement le
bonheur d’être l’objet de « l’idolâtrie du public », mais encore, en plus de
cette reconnaissance officielle, ils connaîtront « le plaisir de céladonie
transcendantale ou degré supérieur du pur amour, sorte d’érotisme mental qui
élève les conjoints au-dessus des désirs matériels 34 ».
L’utopie de Fourier a ses saints, ses nobles : elle a aussi ses
guerres. Mais les guerres en Harmonie ne
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