Fourier

les symptômes,
coïncide avec une détérioration générale du climat terrestre. Les ouragans, les
périodes de sécheresses ou de climat hors saison, la fréquence des aurores
boréales même, prouvent que la planète ne peut plus tolérer que se prolonge la
civilisation : « [...] la terre est violemment agitée du besoin de créer ; on
s’en aperçoit à la fréquence des aurores boréales, qui sont un symptôme du rut
de la planète, une effusion inutile de fluide prolifique ; il ne peut former sa
conjonction avec le fluide des autres planètes tant que le genre humain n’aura
pas fait ses travaux préparatoires 13 .
»
    La maladie d’une simple petite planète ne devrait pas,
d’ordinaire, avoir une telle incidence sur le reste de l’univers. Mais la terre
et son système solaire occupent une place stratégique. « [...] le tourbillon de
nos planètes est central dans l’univers ; il est donc tourbillon foyer ou
pivotal pour tous ceux de voûte : il est en mécanique arômale ce qu’est le
général dans une armée ; de sorte que si notre tourbillon est en retard, toute
la voûte céleste se trouve en retard d’opérations 14 . » Pour remédier à la situation, une colonne de secours
composée de 102 planètes a été mobilisée. Elle avance vers la terre à marche
forcée depuis l’époque de Jules César : mais tant qu’elle ne sera pas arrivée,
ce qui ne devrait pas tarder, la terre continuera de souffrir.
    La dégradation du climat n’est pas l’unique signe de la mauvaise
santé de la terre, comme en témoigne la prolifération des espèces animales
dangereuses. Fourier dénombre 130 espèces différentes de serpents venimeux,
sans parler des lézards, limaces, rats et autre vermine. Quelle peut bien être
la raison de leur existence ? Quelle place ces horribles créatures
tiennent-elles donc dans le projet d’un Dieu sage, omniscient et bienveillant ?
A cette question, qui a mis à l’épreuve l’ingéniosité de plus d’un philosophe
du XVIIIe siècle, Fourier apporte une réponse nouvelle 15 : puisque la Sauvagerie, la Barbarie et
la Civilisation sont des périodes de perfidie, de guerre et de carnage, il est
naturel, selon la loi de l’analogie universelle, qu’y abondent les reptiles
venimeux et autres animaux dangereux ou nuisibles. Les 130 variétés de serpents
sont en fait la réplique exacte des « 130 effets de la calomnie et de la
perfidie », qui forment l’essence de ces sociétés trompeuses 16 .
    Fourier soutient que l’avènement de l’Harmonie fera disparaître
toutes ces créatures malfaisantes. La terre subira alors une série
d’extraordinaires transformations physiques qui culmineront en une nouvelle «
création harmonique ». Ces transformations de croissance sont « semblables à
l’avènement de la puberté 17 » :
les adolescents ont leurs boutons ; la terre sera secouée de tremblements et
d’éruptions volcaniques qui permettront de libérer ses fluides nocifs et
souterrains. Au même moment, la calotte glaciaire se mettra à fondre, les mers
seront purifiées, et l’atmosphère régénérée. Les tornades et les ouragans de la
Civilisation seront remplacés par d’harmonieuses séries de vents doux et
prévisibles qui rendront « les voyages aussi sûrs que le sont aujourd’hui ceux
de terre 18 ». La lune, malade,
quittera son orbite pour se dissoudre dans la Voie lactée et sera remplacée par
cinq satellites flambant neufs 19 .
    La plupart de ces changements seront dus à la formation d’un
anneau autour du pôle Nord, une « Couronne Boréale » décrite dans un long et
curieux chapitre des Quatre Mouvements que Fourier, pince-sans-rire, qualifie
lui-même de « plus curieux que nécessaire 20 ». Durant la transition entre Civilisation et Harmonie, les hommes pourront
mettre en culture certaines terres auparavant stériles, ce qui aura, entre
autres, pour conséquence de réchauffer l’atmosphère. Quand ces exploitations
auront atteint le soixantième parallèle, la température sur terre sera
tellement plus élevée que les calottes glaciaires en fondront. Au même moment,
« l’aurore boréale, devenant très fréquente, se fixera sur le pôle et s’évasera
en forme d’anneau ». Assez vaste pour être toujours au contact des rayons du
soleil, la Couronne boréale stabilisera les conditions climatiques et
réchauffera les latitudes nordiques en réfléchissant la lumière. Les Sibériens
jouiront alors d’un climat plus tempéré