Fourier
prémisses : premièrement, l’univers est un système unifié, un réseau de
correspondances cachées ou hiéroglyphes ; deuxièmement, l’homme est au centre
de ce système. Comme les cosmographes chrétiens du bas Moyen Âge et de la
Renaissance, Fourier pense que tout ce qui est proprement humain trouve un écho
ou une correspondance dans la nature. Chacune des douze passions est
représentée par une couleur, une note de musique, une forme géométrique et un
astre particuliers. Inversement, chaque animal, végétal ou minéral est l’image
d’un trait de caractère, d’une institution, ou d’une forme de relation sociale
dans le monde des hommes. « L’analogie est complète dans les différents règnes
; ils sont, dans tous leurs détails, autant de miroirs de quelqu’effet de nos
passions : ils forment un immense musée de tableaux allégoriques où se peignent
les crimes et les vertus de l’humanité 26 .
» Cette théorie permet d’appréhender un monde rendu familier. « Sans
l’analogie, la nature n’est plus qu’un vaste champ de ronces ; les 73 systèmes
de la botanique ne sont que 73 tiges de chardon 27 .
» Grâce à elle, au contraire, tout est ramené à une dimension humaine : la
nature devient compréhensible, animée, voire amusante. Afin de guider ses
lecteurs dans ce sous-bois enchevêtré, Fourier établit des chartes de
correspondances détaillées 28 :
Les modalités de l’amour peuvent être représentées par l’iris,
la tubéreuse, l’œillet et l’hyacinthe, les degrés de stupidité et d’intelligence
par les têtes des oiseaux, leurs aigrettes, crêtes, plumes, cols et autres
ornements : « L’oiseau étant l’être qui s’élève au-dessus des autres, c’est sur
sa tête que la nature a placé les portraits des sortes d’esprit dont les têtes
humaines sont meublées 29 . » Tout
est matière à analogie pour Fourier ; une oreille lui en apprend autant qu’une
tête : « Pourquoi le lion a-t-il des oreilles taillées ? » Parce qu’il
représente le roi : ses courtisans l’empêchent d’entendre la vérité, alors que
le paysan, à l’image de l’âne aux longues oreilles, doit essuyer sans broncher
les pires insultes 30 .
Cette conception analogique du monde n’est pas propre à Fourier.
L’idée que la nature serait un royaume d’allégories et de messages cachés est
assez largement répandue à la fin du XVIIIe siècle. Pour n’en citer qu’un
exemple, les Études de la nature (1784) de Bernardin de Saint-Pierre sont un
condensé d’analogies visant à démontrer l’unité, l’ordre et l’harmonie de la
nature ainsi que la sagesse du Créateur. Fourier connaissait bien cet ouvrage,
dont il se démarque pourtant en deux endroits : il raille l’empressement de son
aîné à tout attribuer à un plan divin. « Bernardin de Saint-Pierre [...] veut
nous habituer servilement à admirer les horreurs de la création », écrit-il,
particulièrement troublé de ce que celui-ci ait pu assigner une place aux
araignées dans le projet divin 31 .
D’autre part, Fourier conçoit sa propre théorie comme une science dont le but
serait d’expliquer les phénomènes naturels et, avec le temps, de fournir des
remèdes et des antidotes aux différentes maladies. « Lorsqu’on aura poussé à la
perfection la nouvelle science de l’analogie passionnelle, on apprendra à
déterminer, entre autres secrets, les remèdes inconnus que peut renfermer
chaque végétal 32 . »
Sa théorie, assure-t-il, n’a rien de rébarbatif. Il est certes
capable de détailler avec un soupçon de pédantisme les connexions précises des
130 formes de perfidie civilisée avec les 130 espèces de serpents venimeux.
Mais le plus souvent, il régale d’histoires ses lecteurs ou leur peint des
tableaux aussi vivants que ceux de La Fontaine pour décrire avec minutie le
lien étroit des passions humaines avec certains détails spécifiques du plumage
d’un oiseau ou de l’anatomie d’un mammifère. Le perroquet est l’un de ses
exemples favoris :
Les perroquets sont l’emblème des sophistes du monde
philosophique; par analogie, cet oiseau manie très bien la parole, mais il n’a
que du verbiage sans raison. Tels sont les brillants systèmes de la philosophie
représentés par des variantes contrastées dans la distribution des couleurs
dont le perroquet est chamarré : l’un a du jaune en sommet d’aile, et du rouge
en pointe ; l’autre a le rouge en sommité, le jaune
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