Fourier
entendait, semble-t-il, une description complète de
l’univers liant toute chose à un plan providentiel, à un ensemble d’objectifs
divins. C’est ainsi qu’il évoque les « intentions » du Dieu créateur de
l’univers, et cherche à expliquer « les plans adoptés par Dieu pour les
modifications de la matière depuis la cosmogonie des univers et des astres non
aperçus, jusqu’aux développements les plus minutieux de la matière dans les
trois règnes 1 ».
Le statut de cette « théorie des destinées », son rapport avec
le reste de la doctrine ont toujours posé problème. A plusieurs reprises,
Fourier signale que sa cosmogonie et son astronomie inédites ne sont pas à
prendre au pied de la lettre ; dans ses commentaires sur « l’énigme des Quatre
Mouvements », il prétend que les premiers chapitres sur la « hiérarchie des
quatre mouvements », la « couronne boréale », et les tendances sexuelles des étoiles
sont en fait destinés à « lancer les rieurs » ; il précise enfin fréquemment
que ses lecteurs ne sont tenus d’accepter ni sa cosmogonie ni sa théorie de
l’analogie universelle, deux aspects de sa doctrine qui doivent être jugés
séparément de la théorie de l’association 2 .
Ses disciples, terre à terre, vont plus loin. S’ils
s’intéressent suffisamment à la cosmogonie et à l’analogie universelle pour
publier la quasi-totalité des manuscrits y ayant trait, cela ne va pas sans
coupes sombres : tout en vulgarisant la doctrine, ils pratiquent ce qu’Ange
Guépin a appelé « un utile sarclage » des idées les plus extravagantes, par
crainte des réactions hostiles qu’elles pourraient susciter chez le public
qu’ils s’efforcent de gagner aux théories économiques et sociales. Comme l’a
dit Charles Pellarin, les écrits sur la cosmogonie et l’analogie sont «
magnifiques et grandioses », mais « étant dénués de preuves positives » ils
pourraient effaroucher des esprits timorés, voire prêter le flanc au ridicule 3 .
En purgeant ainsi la doctrine de ses éléments les plus
extravagants, les disciples créent un précédent qui sera longtemps imité des
spécialistes de Fourier. C’est ainsi que dans la thèse monumentale qu’Hubert
Bourgin a consacrée en 1905 à la pensée de Fourier, la métaphysique
providentielle, la cosmogonie et la théorie de l’analogie universelle n’ont
quasiment pas droit de cité. Des universitaires plus proches de nous comme
Maurice Lansac ou I.I. Zil’berfarb iront jusqu’à affirmer que le
providentialisme de Fourier n’est qu’un « étrange habillage métaphysique »
destiné à faire passer sa théorie sociale auprès des bourgeois 4 . Or c’est précisément cet « étrange
habillage » que cherchent à escamoter les disciples pour se faire entendre. Si
la cosmogonie de Fourier n’était que fadaise, l’on comprendrait mal pourquoi il
se donne tant de mal à la développer, non seulement dans ses publications, mais
également, et de façon fort approfondie, dans ses manuscrits.
Fourier lui-même l’envisage, semble-t-il, avec le plus grand
sérieux. Et quand, aux débuts de la Restauration, il apporte des corrections à
sa Théorie des quatre mouvements, ce n’est pas, comme ont pu le faire croire
par la suite ses disciples, pour renier ses rêveries stellaires mais pour en
modifier certains points de détail 5 .
Il est vrai que les railleries qui accueillirent la publication des Quatre
Mouvements persuadèrent Fourier d’adopter par la suite un ton plus modéré. Dans
les publications postérieures, il tente de donner sa cosmogonie et son analogie
universelle pour « passe-temps » ou « instruction pour dames 6 », sans toutefois aller jusqu’à les
excepter, ni se départir de son ambition de jeunesse, la constitution d’une «
théorie des destinées ». Emile Lehouck a très bien noté que ce maintien des
chapitres sur la cosmogonie dans tous ses ouvrages est un « acte de fidélité
aux rêves et aux ambitions de sa jeunesse 7 ».
I
Dans sa théorie sociale, Fourier cherchait à préciser les
conditions nécessaires à l’établissement d’un ordre social harmonieux; sa
théorie des destinées peut être vue comme une recherche des principes d’ordre
et d’harmonie qui règnent sous l’apparent chaos de l’univers. Comme certains de
ses contemporains et beaucoup de philosophes de la morale et de la politique au
XVIIIe siècle, Fourier se réclame en cela de l’influence de Newton,
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