Fourier
en pointe; ainsi les
sophistes, comme Epicure ou Zénon, sont dans leurs dogmes la contre-partie l’un
de l’autre. Sur quoi repose tout leur échafaudage de systèmes ? Sur le régime
de famille, sur le morcellement par petits ménages conjugaux ; toute la
philosophie roule sur ce vieux pivot, qui est l’antipode du régime sociétaire.
Il faut, par analogie, que le perroquet pivotai, qui est le blanc, déploie la
bannière jaune, emblème du groupe de paternité : ce groupe est la base de tous
les systèmes sociaux conçus par la philosophie ; aussi le perroquet BANNERET, le
kakatoès, est-il baignant dans le jaune qui colore toutes les plumes
inférieures de son corps 33 .
Les habitudes et les particularités de l’éléphant sont également
très éloquentes pour peu qu’on ait l’œil exercé ; de toute évidence, il incarne
les quatre passions affectives sous leur forme vertueuse : c’est un ami dévoué
mais non servile, un amant discret et fidèle, un animal aux ambitions élevées,
et un père aimant, responsable, qui ne supporte pas la captivité de ses petits.
La nature l’a doté de belles défenses et d’une trompe souvent ridiculisée :
voilà qui reflète une civilisation où sont raillées les classes productrices
tandis que les soldats parasites sont revêtus des plus beaux uniformes. Si
l’éléphant a un arrière-train et une queue ridicules, c’est que l’on
s’esclaffe, en civilisation, derrière le dos de l’homme intègre ; les petits
yeux du pachyderme symbolisent l’aveuglement du vertueux qui ne sait trouver le
moyen de faire triompher la vertu, et ses grandes oreilles plissées la peine
qu’il a à n’entendre qu’hypocrisies ou louanges du vice. Enfin, si l’éléphant
adore se rouler dans la boue et se couvrir de poussière, c’est simplement pour
évoquer le sort de l’honnête homme, condamné par la civilisation à la pauvreté 34 .
Fourier trouve un certain plaisir à identifier puis détailler
les analogies de l’amour et de la sexualité. Là encore, il s’agit d’une vieille
tradition. Depuis que Linné a échafaudé son système de classification des
plantes en étudiant leur reproduction, de nombreux écrivains populaires ont
composé poèmes et traités sur la vie amoureuse des fleurs. Mais Fourier, lui,
ne se limite pas aux analogies « gracieuses » que fournissent les plus belles
plantes. Il professe que les légumes les plus humbles, comme le chou ou
l’oignon, peuvent offrir une image subtile et nuancée des espoirs et des
épreuves de l’amour : le chou est l’emblème de l’amour clandestin avec ses
intrigues secrètes, ses masques et ses mille ruses.
Comme l’amoureux, il cache sa fleur sous « les voiles de cents
feuilles emboîtées » ; « bouillonnées et ondoyantes », ses feuilles figurent
les stratagèmes des amants pour cacher leur liaison ; elles sont plus bleues
que vertes car bleue est la couleur de l’amour. Le chou-fleur, en revanche, est
le hiéroglyphe de l’amour sans obstacle et sans mystère. Son océan de fleurs
blanches décrit les plaisirs de la jeunesse émancipée ; ses feuilles ne sont ni
bleues ni boursouflées, car les jeunes gens qui satisfont leurs pulsions
sexuelles sont rarement amoureux et n’ont nul besoin d’avoir recours à la
dissimulation comme ceux que symbolise le chou 35 .
Si les plantes et les fleurs fournissent la plupart des
analogies sexuelles et amoureuses, Fourier en puise parfois dans le règne
animal. L’une des plus mémorables est celle du canard, hiéroglyphe du mari
civilisé :
La nature, en affligeant le canard mâle d’une extinction
de voix, représente ces maris dociles qui n’ont pas le droit de répliquer quand
leur femme a parlé ; aussi le canard, lorsqu’il veut courtiser sa criarde
femelle, se présente-t-il humblement, faisant des inflexions de tête et de
genoux, comme un mari soumis, mais heureux, bercé d’illusions ; en signe de
quoi la tête du canard baigne dans le vert chatoyant, couleur de l’illusion 36 .
Taciturne, peureux et glouton, le canard est l’opposé du coq,
dont les manières fières et polygames sont celles d’un sultan dans son harem.
La plupart des hiéroglyphes que Fourier déchiffre ainsi avec
tant de précision symbolisent les vices et les folies de la civilisation.
Quelques-uns cependant annoncent déjà le futur : si le nid de guêpes est à
l’image de la civilisation, et le perroquet à celle de l’homme civilisé, la
ruche
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