Fourier
Paris, où il compte « activer » les ventes du traité
et trouver un fondateur en la personne d’un riche capitaliste ou philanthrope
prêt à financer la première Phalange d’essai. Ce déménagement aura
d’importantes répercussions tant sur sa vie que sur son œuvre. A cinquante ans,
Fourier a presque toujours vécu en province. Désormais, à l’exception de
quelques brefs séjours à Lyon et Besançon, il sera parisien. Mais s’il lui
reste encore quinze ans à vivre, la période d’intense activité qu’avait
inaugurée le séjour à Bugey est révolue. La quête d’un mécène va désormais
absorber la plus grande partie de son temps et de son énergie.
Le Fourier provincial que décrit Pellarin dans sa biographie
est, nous l’avons vu, pour le moins caricatural. Avec les années parisiennes, le
portrait devient ressemblant. Tandis que le représentant de commerce de Lyon
semblait nourrir des intérêts et des ambitions très variés, la vie de Fourier à
Paris est totalement liée à sa découverte. Ses quinze dernières années seront
avant tout la chronique de ses efforts pour s’assurer un soutien financier et
déjouer les manèges des plagiaires. Le Fourier des années 1820-1830 est
essentiellement, si ce n’est littéralement, celui que décrit Béranger dans sa
célèbre anecdote : un homme tellement obsédé par sa vision qu’il tenait à
rentrer chez lui à midi car c’était l’heure qu’il avait consacrée aux
éventuelles visites des mécènes 2 .
Si cette installation à Paris retentit sur les préoccupations et
les activités quotidiennes de Fourier, elle influence aussi son œuvre et ce
qu’elle représente à ses yeux. A Lyon, en Bugey, l’écriture était pour lui un
procédé de découverte. Lorsqu’il affirme s’être alors embarqué pour
l’exploration d’un « nouveau monde », c’est, semble-t-il, ce qu’il a vraiment
ressenti : il avait réussi à toucher une strate profonde, presque inaccessible
de son esprit. « Mon réservoir d’idées est comparable à la source du Nil,
écrit-il; on ne la connaît pas mais elle fournit en abondance 3 . » Jusqu’à la fin du Traité, il développe
ainsi ses intuitions premières en s’alimentant à un « réservoir d’idées »
caché. Puis il paraît perdre cette capacité et commence à se répéter, par
habitude sans doute, mais aussi par volonté : il lui faut désormais simplifier
sa doctrine, la présenter de manière suffisamment hardie et frappante pour
plaire au public et attirer les souscriptions. Ses derniers livres et pamphlets
abondent en listes de bienfaiteurs potentiels. Dans sa volonté de les gagner à
son idée, il adopte les techniques publicitaires modernes : slogans percutants,
caractères gras, typographie variée, propositions avantageuses - tout ce qui
est susceptible de « vendre » sa théorie.
Cet intérêt grandissant pour les moyens publicitaires correspond
à une évolution bien réelle de la presse dans les années 1820-1830 : les
innovations dans la production du papier et l’agencement des caractères
d’imprimerie, l’apparition des premiers feuilletons, puis de l’encart
publicitaire payant, tirent le journalisme français de sa longue période
d’hibernation napoléonienne. L’épaisseur, le lectorat et l’influence des
journaux ne cessent de grandir, le journaliste se fait, selon les mots de
Balzac, le « fabricant » et « spadassin » des « idées et des réputations
industrielles, littéraires, et dramatiques 4 ». La réclame payante, quant à elle, n’est plus confinée à la dernière page :
elle prend de l’ampleur, devient attrayante. Au tournant des années 1820-1830,
un journaliste imaginatif comme Louis Véron fait fortune en vantant les mérites
du pâté Regnault dans les pages de la Quotidienne, tandis qu’un échotier moins
doué comme l’Etienne Lousteau de Balzac peut tout de même prétendre à trente
francs pour quelques phrases de boniment sur l’eau carminative ou l’huile
céphalique. Puisque ce qu’il a à offrir est infiniment plus bénéfique que tous
les pâtés du monde, Fourier ne doute pas que les mêmes techniques de vente lui
soient au moins aussi profitables.
I
A son arrivée à Paris, Fourier trouve à se loger temporairement
« chez M. Saussol » au 41, rue de Grenelle-Saint-Honoré, avant de s’installer,
quelques semaines plus tard, à l’hôtel Saint-Roch, 39, rue Neuve-Saint-Roch, où
il restera jusqu’au printemps 1825.
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