Fourier
intellectuel, en l’occurrence la reformulation
romantique de la pensée analogique classique et chrétienne, les idées de ce
penseur foncièrement original.
L’idée d’un univers naturel reflet des pensées humaines remonte
à l’aube de l’humanité. Lorsque Platon écrit dans le Timée (30B) que « ce monde
est un animal véritablement doué d’une âme et d’une intelligence », il
s’inspire selon toute vraisemblance d’une longue tradition de spéculation
pythagoricienne sur le macrocosme, le microcosme et l’harmonie des sphères. La
pensée chrétienne, quant à elle, est imprégnée d’une longue tradition de
conjectures sur les harmonies invisibles, ressemblances et proportions qui
structurent l’univers 45 , et trouve
dans les fleurs, les champs, les animaux, voire la forme d’une noix, des
allégories de la condition humaine. Les architectes de la Renaissance estiment
eux aussi que les proportions idéales d’un monument ou d’une cité se
déterminent par analogie avec le corps humain et la structure céleste 46 . Le Mysterium cosmographicum et
l'Harmonice mundi de Kepler visent à démontrer de façon précise que Dieu s’est
inspiré de modèles musicaux et géométriques pour créer le monde et que tout,
des lois des planètes au destin des hommes, peut être ramené à ces archétypes
de l’ordre universel 47 . Lorsque
naît Fourier, beaucoup de gens considèrent encore le monde, non comme une
machine autonome, mais comme « le tableau, l’ombre de l’état spirituel de
l’homme 48 ». Cette pensée
analogique est au cœur de la tradition illuministe du XVIIIe siècle. Pour
Swedenborg et Saint-Martin, il existe entre les mondes physique et spirituel
une correspondance grâce à laquelle l’homme peut communiquer avec l’au-delà.
Quels rapports Fourier entretient-il avec ces différentes filiations
? Il est évident que l’analogie n’est pas pour lui, comme pour les chrétiens,
un moyen d’accéder à Dieu, et qu’à la différence des penseurs classiques, il ne
s’intéresse pas non plus uniquement aux analogies politiques (aux notions de
corps politique, et aux ressemblances entre les facultés de l’âme et la
répartition des fonctions au sein de l’Etat). Certes, il érige le corps humain
en « tableau général de l’Ordre Combiné », et fait dépendre les passions, la
taille et la structure de la Phalange du nombre d’os, des muscles et des dents
que nous possédons 49 . Certes, il
possède un exemplaire du Harmonice mundi de Kepler et s’avoue fasciné par la
vision d’un univers que structurent la musique et la mathématique 50 . Une énorme divergence subsiste cependant
: chez la plupart des philosophes antérieurs à Fourier, cette vision de
l’univers constitue une justification de l’ordre existant. Pour les
illuministes du XVIIIe siècle comme pour les cosmographes chrétiens du Moyen
Âge, tout dans le monde est parfaitement conforme à la volonté divine,
serpents, insectes, maladies et tourments inclus. Or il n’est pas question pour
Fourier d’assimiler l’ordre naturel voulu par Dieu avec l’ordre existant.
L’ordre naturel n’est pas donné, mais à découvrir ; et l’instrument critique
que constitue l’analogie doit justement servir à élargir les horizons pour en
révéler les possibilités.
Comme certains autres penseurs de la période romantique, Fourier
s’est inspiré de la tradition analogique classico-chrétienne, pour envisager,
par-delà le monde connu, un nouveau monde d’harmonie rétablie et de visions
réalisées 51 . Peut-être n’était-il
pas grand lecteur de Swedenborg et Saint-Martin, mais il partageait avec
certains de leurs héritiers spirituels l’idée qu’une nature emblématique
pouvait offrir les clés de l’avenir humain. Pour Fourier comme pour Blake,
l’univers physique n’est pas un simple miroir de la condition existante des
hommes mais une source de symboles où puiser la promesse d’un ordre idéal. En
cela Fourier s’apparente non seulement à ses contemporains romantiques, mais
également aux poètes symbolistes des générations suivantes. Il anticipe leur
doctrine des correspondances et leur conception du poète comme « visionnaire »
dont les images et les métaphores révèlent l’unité cachée du monde 52 . Avant Baudelaire et Rimbaud, il
considère le monde naturel comme une « forêt de symboles » permettant à qui
sait le lire d’entrevoir, par-delà la réalité
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