Fourier
l’un des plus singuliers, des plus
nouveaux, des plus féconds, des plus bizarres, des plus vastes systèmes que
l’intelligence philosophique se soit plu à bâtir et à appuyer sur des bases, tantôt
d’imagination, tantôt scientifiques et positives 11 ».
Au cours des semaines suivantes paraissent deux nouveaux compte
rendus : dans le premier, le rapporteur, qui avoue n’avoir jeté qu’un vague
coup d’œil à l’ouvrage, se plaint du style abscons de Fourier, tout en
admettant qu’il est très « clair dans son amère satire de l’état social 12 ». Le second, dont Fourier pense qu’il
est l’œuvre du célèbre chroniqueur Etienne de Jouy, reconnaît une fois encore à
l’auteur un certain talent pour la satire sociale : « Dans ces pages où il
accuse nos vices, il s’élève jusqu’à une sorte de philosophie satirique très
digne de remarque. » Si l’article est effectivement dû à Etienne de Jouy,
lui-même satiriste confirmé, l’éloge a sa valeur, mais il n’est pas de nature à
satisfaire Fourier, qui écrira plus tard qu’il n’aspirait pas à l’honneur de
recevoir des compliments pour sa « philosophie satirique 13 ».
Enfin, en mai 1823, La Revue encyclopédique, trimestriel
libéral, publie un quatrième et dernier compte rendu signé du nom de Ferry, qui
ne se montre pas véritablement plus sévère. L’habituel persiflage sur le style
et l’organisation est nuancé d’une concession : « Tout n’est pas obscur dans
cet ouvrage : on comprend aisément son auteur, lorsqu’il nous blâme ; c’est lorsqu’il
veut nous réformer qu’il devient moins intelligible [...]. » Le ton, cependant,
est ironique et condescendant, ce qu’il n’était pas dans les autres. S’il
explique que Fourier souhaite « enrichir la science des rapports sociaux » d’un
nouveau langage, le critique ajoute aussitôt que le comprendre est « au-dessus
de ses forces » ; il corrige Fourier sur un détail de l’histoire romaine et
avoue répugner à croire « avant l’expérience, que l’oranger puisse être cultivé
en pleine terre sur les côtes de la mer Glaciale 14 ».
II
En juin, Fourier fait le bilan de ses démarches :
Une découverte a coûté vingt-quatre ans de travaux.
L’auteur attend six mois à Paris quelque analyse par voie des journaux :
qu’obtient-il ? Des notes cabalistiques tendant à empêcher la lecture de
l’ouvrage 15 .
Il est particulièrement mécontent du dernier article, où il
reconnaît, derrière un « insidieux travestissement », l’œuvre de ses ennemis,
le « comité » des philosophes parisiens. Ceux-ci auraient commandité l’article
et présenteraient Fourier « non comme un inventeur mais comme un littérateur
ignorant [...] » pour s’assurer que personne ne lise jamais son ouvrage 16 .
Fourier, pour se justifier, se lance de nouveau à l’assaut des journaux.
Aux éditeurs, journalistes, à leurs secrétaires et concierges, à tous ceux qui
veulent bien lui prêter l’oreille, il renouvelle sa demande d’être
équitablement entendu. Il reconnaît que son livre, du point de vue stylistique,
n’a « rien de la souplesse exigée dans les écrits actuels ». Mais les « zoïles
» se sont emparés de ce prétexte pour le discréditer : ils en ont ridiculisé la
forme bizarre sans prendre la peine d’en analyser la rigueur et l’exactitude.
Leur ton facétieux a induit le public en erreur, mais leurs motivations sont
claires : « C’est pour avoir trop bien défini les erreurs de la philosophie,
que cet ouvrage est en butte à sa malveillance 17 .
»
En désespoir de cause, Fourier décide durant l’été 1823 de
publier à ses propres frais un pamphlet qui résumerait les idées principales de
son traité et exposerait au grand jour les machinations de la cabale
philosophique. Rédigé en quelques semaines, Sommaires et annonce du Traité de
l'association domestique-agricole, comme les premières sections du Traité
lui-même, est un mélange de courtes « leçons » doctrinales, de listes des «
servitudes et duperies » des philosophes, de promesses alléchantes pour les
fondateurs, et de références au texte du Traité, avec, au passage, quelques
remarques savoureuses sur « l’archéologie sociale burlesque » ou sur le
perroquet, « emblème des faux savants ». Pour un résumé, en revanche, le
pamphlet est assez déroutant : à l’exposé de la théorie, Fourier ajoute en
contrepoint une attaque de la philosophie et un
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