Fourier
Il n’est pas plus tôt arrivé qu’il
s’attelle à la tâche qu’il s’est fixée : la promotion de son livre et la quête d’un
fondateur. Il déploie à cet effet une énergie extraordinaire, dépêchant des
exemplaires de son traité aux membres du gouvernement, à l’opposition, aux
riches banquiers, nobles, philanthropes, hommes de science, donneurs de prix,
académiciens, journalistes, bref à tous ceux qui seraient en mesure de financer
une Phalange d’essai ou tout du moins d’en convaincre autrui. Ses vieux amis de
Lyon et Besançon, Désiré Ordinaire, Jean-Victor Couchery et L.-V.-F. Amard, ne
sont pas oubliés, non plus que ses anciens associés de travail comme
Jean-Baptiste Gaucel, les écrivains Charles Nodier et Amédée Pichot, ou
Alexandre La Chevardière, l’ancien actionnaire et directeur d’un des journaux
les plus éphémères de Saint-Simon, Le Politique 5 .
A chaque exemplaire, Fourier joint une lettre, parfois même un
petit traité, pour expliquer en quoi la mise en place immédiate d’une Phalange
servirait les intérêts particuliers du destinataire. A Villèle, alors chef du
gouvernement et champion du « milliard des émigrés », il démontre en douze
pages comment sa théorie peut servir à indemniser les émigrés ; aux libéraux
comme Benjamin Constant, Voyer d’Argenson, Girardin et Bignon, il adresse « une
circulaire très énergique sur la mauvaise situation du parti libéral et sur la
voie de salut qui lui est ouverte » ; au comte Grégoire, opposant farouche de
l’esclavage, il promet « l’affranchissement de tous les esclaves noirs ou
blancs sans exception ». Il ajoute : « J’ai ouï dire que vous êtes en
correspondance avec le président Boyer à qui l’essai ne coûterait pas même cent
mille francs d’avances faites à grand bénéfice. » Si Grégoire parvient à
convaincre le président d’Haïti de financer un essai, Fourier promet d’aller
lui-même superviser les activités à Saint-Domingue : « En six semaines, on
ferait l’opération 6 . »
Tous les prétextes sont bons pour se faire entendre. La
notification même, au ministère de l’Intérieur, de son dépôt légal en la
préfecture de Besançon s’accompagne de quatre pages d’une écriture serrée sur «
les appâts spéciaux » que présenterait sa théorie pour le roi de France. Rares
sont les réponses, et quand réponses il y a, elles ne sont guère
encourageantes. Villèle, par exemple, prend simplement acte de la réception de
« votre ouvrage intitulé Projet d’organisation domestique-agricole 7 ».
Non content d’en appeler aux individus, Fourier expédie aussi
son Traité aux plus importantes des sociétés savantes et des revues de la
capitale, cherche à le soumettre dans un concours organisé par la Société de
géographie de Paris, et sollicite le patronage de nombreuses autres
associations, depuis la Société d’industrie nationale du comte Chaptal, jusqu’à
la Société de morale chrétienne de La Rochefoucauld-Liancourt 8 . Lorsqu’il en appelle aux journalistes, il
dit ne pas vouloir abuser de leur temps : il a besoin de publicité, mais pour
leur épargner la peine de lire l’ouvrage, offre d’en composer « des aperçus
d’analyse en tel sens et tel ton qu’on aura désiré 9 ». Ce genre de pratique n’est pas inhabituel sous la
Restauration et si Fourier avait eu les moyens de monnayer cette faveur,
certains la lui auraient sans doute accordée. Mais ce n’était pas le cas ;
jusqu’en février 1823, il n’est fait mention du Traité qu’une seule fois dans
toute la presse parisienne : le Courrier français publie une annonce de trois
lignes 10 .
Enfin, à la mi-mars, paraît un compte rendu critique dans un
petit quotidien libéral de faible tirage, Le Miroir ; l’information est
lacunaire, la rédaction hâtive. La première partie consiste surtout en une
reprise des prophéties les plus extravagantes de Fourier :
Il promet de tripler la
richesse de ce globe, d’éteindre
toutes les dettes [...] de tarir les
sources des passions haineuses parmi les hommes.
Enfin (ô merveilleuse perspective !) il nous garantit CENT VINGT ANS d’exercice
actif en amour.
Suit un commentaire un peu moins désobligeant sur le mélange de
« satire et d’érudition », de « hardiesses poétiques » et «
de connaissances approfondies » que
présente le livre. Quelque peu déconcerté, le rapporteur
conclut d’une manière assez vague sur «
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