Fourier
beaucoup voyagé*.
* Anna Doyle Wheeler (1785-18 ?) était fille d’un éminent
pasteur irlandais et filleule du chef nationaliste Henry Grattan. Célèbre pour
sa beauté et pour son intelligence, elle fut mariée à quinze ans à Francis
Massy Wheeler, rejeton alcoolique d’une famille « d’imbéciles à particule ». En
douze ans d’une vie maritale lugubre, elle donna naissance à une demi-douzaine
d’enfants dont seulement deux survécurent : Henrietta (1800-1826) et Rosina
(1802-1882), dont le divorce d’avec Edward Bulwer-Lytton constitua l’un des
scandales mineurs de l’ère victorienne. En 1812, Anna Wheeler quitta son mari
pour une odyssée qui devait d’abord l’amener à Guernesey, où son oncle, Sir
John Doyle, était alors gouverneur. Présidant la société cosmopolite de la
maison du gouverneur, elle fut célébrée par des émigrés de passage comme le duc
de Brunswick et courtisée par le duc de Bouillon, cousin du futur Charles X,
alors âgé de soixante-douze ans. Après avoir gravement endetté son oncle, elle
partit en 1816 pour Londres, Dublin et Caen, où un groupe d’admirateurs fit
d’elle la « déesse de la Raison » et « la femme la plus brillante de son temps
». Elle retourna en Irlande à la mort de son mari en 1820, puis s’installa à
Paris où Fourier la rencontra en 1823. Ils furent très vite proches. En 1826, à
la mort d’Henrietta, Fourier consola son amie avec sa théorie de la
métempsycose. Au cours des années 20 et 30, elle aida à propager les idées de
Fourier dans les milieux coopératifs britanniques et les cercles owenistes, et
distribua des exemplaires de ses dernières œuvres à William Thompson, Daniel
O’Connell et Lady Byron entre autres. Son amitié avec Jeremy Bentham, Robert
Owen, William Thompson et leurs disciples datait du début des années 20. Elle
était particulièrement proche de Thompson, qui, en lui dédiant son œuvre
pionnière du féminisme, Appeal of Half of the Human Race... (1825),
avoue n’avoir été que son « scribe et interprète ». Voir Richard K.P. Pankhurst, « Anna Wheeler : Pioneer Socialist and
Feminist, » Political Quarterly, XXV, 2 (avril-juin 1954), 132-143 ; et Barbara
Taylor, Eve and the New Jerusalem : Socialism and Feminism in the Nineteenth
Century (New York, 1983), 59-65 ; Pankhurst, William Thompson (Londres, 1954),
17-18, 70-78 ; Michael Sadleir, Bulrnr, A Panorama. 1re partie, Edward and
Rosina (Boston, 1931), notamment pp. 67-77 ; Louisa Devey, Life of Rosina, Lady Lytton (Londres,
1887), 1-38. Pour la correspondance d’Anna Wheeler et Fourier, voir AN
10AS 25 (3 bis) et 10AS 25 (3).
Proche des owenistes anglais, des benthamistes et du socialiste
ricardien William Thompson, elle vient tout juste de prendre ses quartiers à
Paris avec ses deux filles de vingt ans et un certain lieutenant Smith. Quand
et comment a-t-elle fait la connaissance de Fourier ? Mystère. C’est une femme
brillante, au franc-parler, aux sympathies radicales et aux opinions
éclectiques. Le jeune Benjamin Disraeli la décrit comme « un mélange de Jeremy
Bentham et de Meg Merrilies, très douée, mais terriblement révolutionnaire 37 ». Les idées de Fourier lui plaisent ; et
quelque temps après leur première rencontre, celui-ci fréquente régulièrement son
salon.
Il semblerait qu’en août 1823 Anna Wheeler ait voulu organiser
une entrevue entre Fourier et Owen. Cela n’aboutit pas, mais elle présenta à
Fourier un certain nombre d’owenistes et contribua sans doute à nourrir ses
espoirs concernant une possible conversion de l’Anglais. En 1823, Fourier, on
ne peut plus optimiste, insère une note dans Sommaires :
Selon l’annonce que je viens d’en lire dans la Revue
encyclopédique, M. OWEN se décide à entreprendre une fondation
sociétaire-agricole, et sans doute en un local plus favorable que New Lanark
[...]. Si M. OWEN, qui va être averti de la découverte, prend le parti de
s’écarter des méthodes civilisées [...], on pourra regarder l’avènement en T
période comme certain. Tout tient donc dès à présent à sa détermination, car il
a le crédit nécessaire pour effectuer l’opération ; et s’il goûte le plan
d’action composée, accords passionnés et industriels réunis, c’en est fait de
la civilisation 38 .
Fourier n’entre en contact avec Robert Owen qu’au printemps 1824
par une lettre datée du 2 avril où il s’adresse à lui en termes flatteurs : «
Vous avez fait en
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