Fourier

l’envoi de Sommaires accompagné de
lettre ? D’après cela faut-il s’étonner que les de Jouy, Kératry et autres ne
veuillent pas faire de réponse 29 ?
»

III
    Parmi toutes les démarches liées à la promotion du traité, celle
que Fourier tente auprès du grand socialiste communautaire anglais Robert Owen
revêt un intérêt historique particulier.
    Bien qu’il ne soit que d’un an l’aîné de Fourier, et que ses
premières expériences d’administration progressiste dans l’industrie soient
contemporaines des premières pensées de Fourier, Robert Owen est déjà connu de
toute l’Europe à l’heure où Fourier n’a pas encore quitté l’obscurité de sa
province. Sa célébrité est en partie due à la simplicité de ses principes
sociaux de base : convaincu de l’influence de l’environnement sur les
comportements, il croit dur comme fer aux vertus bénéfiques d’une bonne
éducation et de bonnes conditions de travail. Mais son prestige est surtout dû
au succès de la communauté modèle qu’il a fondée au début du siècle à New
Lanark, en Ecosse, et qui pour ses contemporains semble corroborer ses thèses
sur la flexibilité de la nature humaine 30 .
    C’est en 1818, après une tournée triomphale sur le continent,
que ses œuvres commencent à circuler en français et à susciter des débats dans
la presse 31 . La Revue
encyclopédique, journal libéral de Marc-Antoine Jullien, s’en fait souvent la
tribune et c’est sans doute dans ses pages, dont il est un lecteur régulier,
que Fourier rencontre d’abord les noms d’Owen et de New Lanark. Toujours est-il
que l’expérience de New Lanark figure dans ses manuscrits comme avant-goût de
l’Association dès 1820. Dans les brouillons de sa « Note à l’Académie de Belley
», Fourier reproche à Owen la trop grande taille de sa communauté, mais le
félicite de « s’exercer sur un problème si utile 32 ».
    Dès le début, et bien qu’il émette des réserves sur les plans de
son association, Fourier considère Owen comme un philosophe « expectant » et
voit en lui un disciple potentiel. Dans le Traité, il le présente comme « le
premier qui ait fait pratiquement des recherches et essais sur l’Association ».
Quant à New Lanark, c’est une « très-précieu[se] » entreprise qui semble
combiner « quelques-uns des avantages matériels de l’Association 33 ». Mais, « d’après les détails qu’ont
fournis les journalistes », Fourier détecte cinq « fautes capitales » dans
l’organisation de la communauté : tout d’abord, avec ses trois mille membres,
elle est beaucoup trop vaste. Elle n’est pas non plus assez diversifiée car n’y
sont recrutées que des personnes de fortunes à peu près égales : se privant
ainsi de l’indispensable stimulant qu’est le contraste, Owen est incapable de
former des séries composées. L’absence d’agriculteurs constitue la troisième
erreur : « Le seul travail manufacturier ne peut pas isolément suffire au lien
sociétaire. » Le travail agricole n’est pas seulement celui qui plaît le plus à
la plupart des gens, c’est aussi « l’aliment principal des rivalités et
intrigues industrielles ». Quant à la discipline, elle est « judicieuse mais
sévère jusqu’à l’austérité ». Les « statuts monastiques » d’Owen sont « loin
[de constituer] une Association attrayante ». Enfin, en choisissant de ne pas
diviser les profits proportionnellement au capital investi, au travail, et au
talent, Owen s’est privé du ressort décisif qu’est l’« intérêt 34 ».
    Bien qu’il ait soigneusement relevé toutes les déficiences de
l’entreprise de New Lanark, Fourier préfère dans son Traité n’en souligner que
les réussites. Louant la « modestie spéculative » d’Owen et ses réalisations «
visibles », il accorde aux « Owenistes » dans sa périodisation historique un
rang à part, légèrement supérieur à la Civilisation si l’on en croit sa
terminologie singulière : « Quant à l’établissement de New Lanark, j’estime
qu’il mérite le rang de 5 1 /4, et qu’il est une demi-issue de civilisation,
une demi-transition ascendante 35 .
»
    Jusqu’à la publication du Traité, toutes les informations de
Fourier sur les owenistes semblent issues de la presse 36 . Mais, en 1823, Fourier rencontre une
Irlandaise qui lui fournit de plus amples détails sur Owen et son travail.
Féministe radicale de haut rang, Anna Doyle Wheeler a