Fourier

essai d’association des tentatives si notables qu’il vous
importe de savoir si le procédé est ou n’est pas découvert. » Il lui offre de
collaborer à la mise en place de la Phalange. Bien entendu, cette collaboration
peut revêtir plusieurs formes : Owen pourrait être pour Fourier ce qu’Isabelle
fut pour Christophe Colomb, ou bien il pourrait prêter son nom, et peut-être
son portefeuille, à l’organisation d’un concours où la théorie de l’association
serait soumise à l’épreuve du tout-venant ; ou encore employer Fourier comme
consultant en techniques d’association.
    Si cette perspective peut vous agréer, je vous offre de
m’engager pour la direction du mécanisme au traitement du moindre de vos
commis. Je ne cherche pas ici un bénéfice mais seulement l’occasion d’opérer et
donner en deux mois à mes détracteurs le démenti que Colomb donna à son siècle
qui le traitait de visionnaire.
    Deux exemplaires du Traité accompagnent la proposition 39 .
    Robert Owen, qui ne comprend pas le français, transmet la lettre
à l’un de ses disciples, Philip Orkney Skene : cet ancien officier des armées,
professeur de langues, le seconde souvent dans sa correspondance. Il envoie à
Fourier une longue lettre courtoise, lui expliquant qu’après un « rapide examen
des deux volumes du traité sur l’association », il en a résumé la teneur à
Owen, qui s’est montré intéressé sans toutefois être en mesure d’utiliser ses
services; déplorant que Fourier ne connaisse pas mieux les idées d’Owen, il
entreprend de les lui exposer sur un ton qui se veut sympathique (« Les plans
originaires de monsieur Owen [...] ne sont en effet autre chose que ceux d’une
association domestique-agricole simple. »). Sa conclusion est à la fois
élogieuse et réservée : « Je vous dois, monsieur, personnellement des
remerciements du plaisir que m’a donné la lecture de votre ouvrage. Vos
tableaux des vices de la civilisation sont d’une vérité et d’une force
charmantes. L’idée des séries passionnelles me semble vous appartenir 40 . »
    Fourier ne se laisse pas décourager par ce rejet poli de ses
propositions de collaboration, comme en témoignent les projets dont il fait
part à Muiron le 25 août 1824 : « Il loue beaucoup mon ouvrage, et m’apprend
que M. Owen va fonder un nouvel établissement à Motherwell, en Ecosse [...]. Si
j’étais engagé là comme je le lui demanderai, je pourrais au printemps prochain
faire le coup de partie 41 . »
Quelques semaines plus tard, il répond à Skene en proposant de nouveau ses
services. Les expériences de New Lanark, Hoogstraeten et autres se sont
manifestement soldées par un « avortement politique, puisqu’on n’a pas amené
les voisins à l’imitation spontanée et subite ».
    Mais si on peut former à Motherwell seulement 30 séries
engrenées, et que j’y sois employé pour prévenir les erreurs de mécanisme, il
en résultera que tout en opérant sur la classe pauvre seulement, on attirera
déjà la moyenne qui voudra acheter les actions et s’installer à la place des
pauvres familles.
    Les riches s’y intéresseront à leur tour et très vite l’on se
bousculera à Londres pour financer la première Phalange à grande échelle. «
Monsieur Owen pourra, l’été prochain, faire dans Motherwell la conquête du
monde. » Il faudra évidemment éviter certaines erreurs, et donc nécessairement
faire appel à Fourier en personne.
    Vous risquez fort d’échouer en opérant sans un pilote
exercé. Il ne faut pas me considérer ici comme un employé ordinaire qui se
propose par spéculation pécuniaire. Mon entretien sera pour vous le gage d’une
brillante fortune et bien plus pour M. Owen qui à titre de fondateur de
l’association sera titré de Messie Social [...] C’est assez vous dire combien
il vous importe à tous ainsi qu’à M. Owen de m’engager pour Motherwell sur le pied
de dernier commis. Si j’étais riche, j’y irais gratuitement 42 .
    Cette fois, Fourier ne reçoit pas de réponse. Cela est peut-être
dû au fait qu’à l’automne 1824 Owen et ses collaborateurs ont presque abandonné
Motherwell et sont tout entiers absorbés par leur nouveau projet de communauté
à New Harmony dans l’Indiana. Fourier ignore tout de ces changements. Il reste
optimiste sur la possibilité d’un essai en Angleterre et parle toujours d’aller
éventuellement prendre la direction de la communauté oweniste de