Fourier
théorie
de l’analogie 1 . D’autres, que ne
dérangent pas la cosmogonie ni l’analogie, s’offusquent de ses opinions sur la
sexualité et la religion. Malgré leur intérêt pour l’ésotérisme, la plupart des
amis de Muiron sont pieux et, somme toute, conventionnels. C’est ainsi que
Raymond de Raymond, franc-maçon de longue date, craint que le Traité ne fasse «
chanceler sa foi », tandis que Désiré-Adrien Gréa parle de la théorie de
l’immortalité comme d’une folie 2 .
François-Joseph Génisset, professeur de latin à l’université de Besançon,
demande sans détours : « Qui sera le Dieu de l’association nouvelle ? [...]
Quelle religion assez flexible dans ses dogmes, assez complaisante dans sa
morale, pourra se prêter à tout ce jeu des passions et en favoriser l’essor ?
La croix qui domine au sommet du calvaire pourrait-elle être remplacée par le
drapeau flottant d’un phalanstère 3 ? »
Tous les lecteurs du Traité n’en ressentent pas de la même
manière la portée blasphématoire. Tous, en revanche, émettent des réserves ;
ils sont quasi unanimes dans leur dénonciation de l’organisation du livre et du
goût immodéré de l’auteur pour les néologismes. La lettre qu’adresse à Fourier
en 1824 un avocat dijonnais du nom de Gabriel Gabet résume assez bien la teneur
générale des critiques que peuvent lui faire ses lecteurs, même les plus
favorables.
Les idées que vous êtes forcé de présenter sont faites
pour étonner l’imagination la plus forte. Il faut donc autant qu’il est
possible les restreindre pour ne pas effaroucher les esprits et ne pas les
faire traiter de folie. Ainsi, « que le monde soit en contre-sens en destinée
par l’effet d’un faux essor dans le mouvement », soit. Mais je ne parlerais pas
de ces hautes conceptions dans mon ouvrage, sauf quand mon plan serait adopté à
donner libre carrière à votre opinion à cet égard, et alors on écoutera vos
raisons. Aujourd’hui elles produiraient l’effet contraire. Je m’abstiendrais
même de faire connaître l’influence que ce système aurait sur la température du
globe. Tout cela est prématuré. La nouvelle organisation sociale offre assez
d’avantages présents sans aller en chercher d’assez éloignés et dont ne peut
jouir la génération actuelle. Sans remonter aux causes qui ont amené l’ordre
établi, je me bornerais à démontrer qu’il ne peut faire le bonheur, et je me
garderais bien de faire intervenir les astres dans cette influence; c’est trop
transcendant pour la presque totalité de vos lecteurs. Enfin, je présenterais
bien mes idées avec ce ton d’assurance qui tient à la conviction, mais je
n’adresserais aucun reproche aux philosophes qui ne les ont pas trouvées, et
qui n’ont réellement que le tort bien involontaire de n’avoir pas eu votre
génie 4 .
Gabet s’en prend ensuite au langage obscur de Fourier et à son
penchant pour le néologisme : « C’est bien assez pour des têtes françaises
d’avoir à se pénétrer d’un système qui renverse l’ordre social et le
reconstitue sur de nouvelles bases », sans avoir à maîtriser en outre un «
langage nouveau ». « Cette critique est celle de tous vos lecteurs, conclut-il,
et dans votre seconde édition il faut la faire cesser ; il faut rendre vos
démonstrations populaires. » Gabet l’ignore, mais les amis de Muiron à Besançon
n’ont cessé de répéter la même chose. Déçus, ou parfois tout simplement
dépassés par le traité, ils pressent Fourier de produire un ouvrage plus clair
et plus modeste à la fois, un « petit volume borné à la Théorie pure et simple
» selon la formule de Gréa 5 .
I
Fourier vieillissant, ses disciples se plaignent souvent de ce
qu’il ne tient aucun compte de leurs avis ou de leurs critiques.
Il est à regretter que les amis et les partisans les
plus dévoués de Fourier n’aient jamais eu sur lui aucune influence, et qu’ils
n’aient pu modifier en rien ses déterminations quant aux parties de son système
qu’il convenait d’exposer au public. L’habitude de se voir méconnu et traité
injustement [...] avait jeté cet homme extraordinaire dans une défiance
excessive qu’il ne dépouillait entièrement à l’égard de personne 6 .
Les tirades contre une critique « bien intentionnée » mais «
sans intérêt » dont Fourier parsème ses lettres à Muiron ne sont qu’un exemple
de cette intransigeance dont se plaindra Pellarin. Il
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