Fourier
Motherwell.
Anna Wheeler et le lieutenant Smith finissent par l’informer des
nouvelles expériences d’Owen, mais il ne s’avoue pas vaincu pour autant. Le
premier avril 1825, c’est avec enthousiasme qu’il fait part à Muiron du succès
d’Owen en Amérique et de ses propres velléités d’influence sur les orientations
de la nouvelle société oweniste, la London Coopérative Society. Il rapporte
également que son Traité a attiré l’attention d’un ami proche d’Anna Wheeler,
le socialiste ricardien William Thompson.
Je sais qu’un individu qu’on nomme Thompson, qui
s’occupe de l’Association et à qui on a communiqué mon livre, en a traduit en
anglais divers morceaux et en a conféré avec des personnes compétentes, de
sorte qu’il pourra être facile de décider cette société à m’engager pour
l’essai du procédé d’Attraction 43 .
Comme à l’ordinaire, ses espoirs sont disproportionnés, malgré
l’intérêt réel que William Thompson porte à ses idées : les derniers ouvrages
de Thompson dénotent une certaine influence de Fourier, dont il est
probablement le traducteur anonyme pour une petite série de textes publiés en
1828 par la London Coopérative Society sous le titre Political Economy Made
Easy.
Un an après son échange de lettres avec Philip Skene, Fourier
est totalement revenu de ses illusions sur les idées de Robert Owen. D’une
part, il semble qu’il les connaisse mieux : en août 1825, Skene lui a remis à
Lyon les traductions françaises de certains ouvrages, qui n’ont pas eu l’heur
de lui plaire 44 :
Moi-même j’avais bien auguré de ses vues, mais depuis
que j’ai lu son discours aux habitants de New-Lanark et ses statuts
monastiques, je vois qu’il est imbu de tous les principes les plus opposés au
régime d’attraction industrielle et équilibre des passions. C’est tout
simplement un moraliste 45 .
D’autre part, les doutes qu’il a pu concevoir à la lecture des
livres d’Owen se trouvent confirmés lorsqu’il rencontre en avril 1826 certains
membres de la London Coopérative Society. Il en fait part à Muiron : « Mme
Wheeler [...] m’a fait connaître des membres de la société coopérative de
Londres. Ils ne sont pas très-forts et sont boursouflés d’esprit systématique.
L’école d’Owen est bien faible 46 .
»
Dans un brouillon du Nouveau Monde industriel qui date
vraisemblablement de 1827, Fourier résume en quelques lignes ses relations avec
les owenistes.
Je n’ai eu que fort tard connaissance de la doctrine
d’Owen, et, lorsque je louai les intentions de l’auteur en 1822, j’étais loin
de présumer qu’il travaille par le fait à ridiculiser l’idée d’association et à
la rendre suspecte à tous les gouvernements. [...] Je croyais en 1822 que [la
secte] avait quelques bonnes intentions [...] mais les owenistes que j’ai vus
depuis m’ont convaincu par leur obstination dans le philosophisme qu’il n’y a
rien à espérer d’eux pour un essai de véritable association 47 .
Plusieurs facteurs semblent avoir contribué à la déception de
Fourier. Vue de près, la doctrine d’Owen s’avère désespérément moralisatrice et
« monastique » ; la plupart des disciples d’Owen font figure de pédants à côté
de l’exubérante et éclectique Anna Wheeler. A partir de 1827, Fourier se met
également à craindre que ses propres théories et l’idée même d’association ne
soient discréditées par l’échec d’Owen à New Harmony dans l’Indiana. Mais la
véritable raison de cette désillusion est plus simple encore. Fourier a fini
par se rendre à l’évidence : les owenistes sont attachés aux doctrines de leur
maître à penser et fort peu disposés à se lancer dans l’étude du fouriérisme,
sans parler de conversion.
CHAPITRE XIX
Le provincial à Paris
Pendant plus d’un an, Fourier ne s’est soucié que de faire
connaître son traité. Or, au début de l’année 1824, il faut bien se rendre à
l’évidence, l’ouvrage est un échec : les commentaires du baron de Férussac sur
le style « répugnant » du traité viennent seulement confirmer le verdict de
journalistes moins enclins à la sympathie. Même à Besançon, parmi les amis de
Just Muiron, le livre ne reçoit qu’un accueil mitigé : certains regrettent que
Fourier tienne absolument à lier les « données positives » de sa théorie à
d’extravagantes spéculations sur la fonte de la calotte glaciaire et la
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