Fourier
semble cependant qu’en
1824 Fourier ait fini par partager certaines des réserves émises par ses
disciples sur ses publications. En janvier 1824, il écrit à Muiron qu’il
envisage de rédiger un nouveau livre, « un petit Abrégé, à peine égal au Sommaire
», où il prendra en compte leur avis : cet abrégé, à la différence des ouvrages
précédents, sera exempt de néologismes, d’innovations stylistiques et de
digressions inutiles ; il se limitera à « l’exposé pur et simple de l’opération
», ce qui le rendra accessible aux écoliers et exclura impitoyablement tout
terme non admis par l’Académie française. Fourier promet de n’y pas donner
libre cours à ses opinions sur les manigances des philosophes parisiens, allant
même jusqu’à leur offrir « une part du gâteau ». En s’adaptant ainsi au goût
des Parisiens pour l’orthodoxe et l’anodin, il produira une œuvre que tout
éditeur sera heureux de publier à ses propres frais. Muiron pense qu’il s’agit
là du « meilleur mode d’acheminement ». Soit. Mais pour Fourier, il s’agit tout
de même de « dissimulation ». « Je dis bien franchement que je manquerai de
franchise dans l’Abrégé à publier », précise-t-il un mois après 7 .
Le 10 mars 1824, Fourier s’attelle à ce nouvel ouvrage qu’il
compte terminer « dans le courant d’avril ». Le livre ne paraîtra que cinq ans
plus tard. Entravé par son incapacité à feindre trop longtemps, Fourier ne peut
s’empêcher, jusque dans les textes les plus polis, de s’en prendre à la
civilisation, d’en attaquer les préjugés les plus ancrés. Ses concessions et
subterfuges forment un dialogue interne qui échappe aux lecteurs, non moins
choqués par ce que lui-même considère comme mascarade que par ses sermons les
plus sincères.
La longue période gestative de l'Abrégé est aussi due à
des raisons plus terre-à-terre : au début de l’année 1824, Fourier se trouve
dans une situation financière délicate. Il est frugal et sa pension, agrémentée
d’une petite aide de Muiron, lui a jusque-là suffi pour vivre. Mais en 1824,
durant les purges administratives décrétées par les Ultras, Muiron a perdu son
emploi de chef divisionnaire de la préfecture du Doubs. Les salaires qui lui
sont dus sont bloqués et il n’est plus en mesure de continuer à subventionner
l’entreprise de Fourier.
Fourier se voit donc dans l’obligation de reprendre, durant
l’hiver 1823-1824, le métier de courtier marron qu’il a exercé pendant de
longues années à Lyon. Mais il se rend vite compte qu’il n’est pas facile pour
un inconnu de se constituer une clientèle à Paris. Il est obligé de demander force
lettres de recommandation et commissions à ses amis et anciens associés de Lyon
(Gaucel, Jaquet, le Dr Amard, les Bousquet) Comme il le leur explique :
A Lyon, l’on se présente dans un comptoir sans avoir
besoin de protection : mais à Paris, pays meublé d’intriguants, tout banquier
ou négociant craint de se lier avec quelque homme dangereux 8 .
D’après leurs réponses, Fourier semble être resté en bons termes
avec la plupart de ses anciens collègues et employeurs. Ils apprécient son «
exactitude » en affaire et font ce qu’ils peuvent pour l’aider. Les plus
chaleureuses et affectueuses sont les lettres de Jean-Baptiste Gaucel, devenu
drapier à Lille, et de François Bousquet, le fils de son premier employeur
lyonnais, qui lui fait parvenir un « gros paquet de lettres de recommandation 9 ».
Fourier commence à fréquenter la Bourse de Paris, momentanément
transférée au rez-de-chaussée du Palais-Royal en attendant la fin des travaux
entrepris par Brongniart. La Bourse n’est officiellement ouverte que quelques
heures par jour, mais les galeries et le jardin du Palais-Royal font office de
lieu de rendez-vous pour les marchands, distributeurs et courtiers. Fourier
reste donc souvent au Palais-Royal après la fermeture pour tenter de glaner
quelque travail supplémentaire dans ce qu’il appelle la « post ou sous
Boursasse[...] accessoire ou arrière-faix de la Grande Bourse 10 ». Il est tellement occupé qu’il ne peut
guère consacrer plus de deux heures par jour à la rédaction de l'Abrégé. Les
résultats sont pourtant loin d’être encourageants : dès la fin mars, Fourier
s’est rendu compte que le courtage prend plus de temps et rapporte moins à
Paris qu’à Lyon. Les marrons sont légion et la concurrence est plus
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