Fourier
forte
encore dans les petites transactions dont il est spécialiste. « On est écrasé
par les courtiers à portefeuille », écrit-il. Il n’est pas connu, il n’a pas de
protecteur, et les commissions sont rarement pour lui. Ses anciens associés
sont eux-mêmes des provinciaux et leurs lettres de recommandation ne lui ont
guère ouvert de portes dans les grandes maisons et banques parisiennes. Fourier
constate donc que ses services ne sont pas plus utiles aux « pachas » de la
haute finance qu’à ceux de la philosophie. En avril, il fait part à Bousquet de
ses « vicissitudes », et en est réduit à demander un prêt 11 . Peu après, il parle de retourner
s’installer à Lyon où il est plus connu. Les affaires s’améliorent légèrement
durant l’été : quelques commissions pour les maisons Périer et Chaptal (où un
jeune diplômé de l’École polytechnique, Prosper Enfantin, occupe alors l’emploi
de liquidateur) commencent à lui assurer de quoi vivre 12 . Mais en août il écrit à Muiron : « Je
comptais que les bénéfices du courtage iraient croissant ; mais c’est une
industrie qui s’arrête à moitié chemin, et ne peut pas aller au delà si on n’a
pas de voiture et portefeuille. Aussi prends-je des mesures pour en changer dès
le mois de septembre et faire mieux. Elle s’était améliorée mois par mois, et
commençait à rendre 100 fr. J’espérais qu’elle irait à 200, puis à 300 ; mais
les obstacles précités se trouvent insurmontables 13 . »
II
Malgré ses difficultés financières, Fourier continue de croire,
à la fin de l’année 1824, que ses idées vont bientôt être mises à l’épreuve de
la pratique. Il est persuadé que la parution de l'Abrégé suffira à déclencher
chez les riches capitalistes une intense compétition pour le titre de
fondateur. En attendant, ses disciples et amis font de leur mieux pour le
seconder dans sa quête. A Besançon, Just Muiron vient de publier Sur les vices
de nos procédés industriels, ouvrage pour lequel on lui a promis des comptes
rendus et un papier officiel à l’Académie de Besançon. Gabriel Gabet, de Dijon,
fait parvenir à Fourier une lettre de recommandation destinée à Etienne Cabet,
ancien avocat à la barre de Dijon et futur icarien : « Je prie [Cabet] de vous
présenter à M. Laffite [Jacques Lafitte], qui, bienfaisant par caractère, peut
grandement vous servir 14 . »
Quelqu’un d’autre met Fourier en rapport avec un riche propriétaire anglais
installé en Touraine, en qui Fourier croira un temps avoir trouvé le mécène
tant recherché 15 . Enfin, Fourier
tente durant l’été et l’automne 1824 de se faire inviter dans la communauté
oweniste de Motherwell.
Même à Paris, les choses semblent se précipiter. Le succès de
l’intervention française en Espagne laisse entrevoir une longue période de paix
et de prospérité, et les investisseurs se montrent plus aventureux. Durant
l’été, une vague de spéculation foncière inonde Paris, et l’on entreprend de
vastes projets de construction dans la plaine de Grenelle, près de l’Ecole
militaire, notamment la construction de trois cents nouvelles habitations et de
ce qui constitue en fait une nouvelle communauté au sein même de l’enceinte
parisienne. En juillet 1824, Fourier confie dans une lettre à Muiron qu’il
trouve le projet « bizarre et inutile » : il espère qu’une partie des fonds en
sera rapidement réorientée vers la construction du Phalanstère. « Les
architectes ont donné, dimanche passé, aux actionnaires, fête, bal et repas qui
ont coûté 40 000 francs. Ici, quand on a un architecte dans sa manche, on peut
empaumer autant qu’on veut des actionnaires, parce qu’à Paris la fureur de
bâtir est maintenant aussi commune que celle de jouer sur les fonds publics.
Ainsi, quand j’aurai fait mon Abrégé, je ne manquerai pas de l’envoyer à
quelque architecte comme V..., habile à organiser des souscriptions et
compagnies 16 . » Quatre mois plus
tard, il parle toujours avec optimisme de voir son « système d’association
[...] mis à l’exécution près de Paris 17 ».
La plupart des projets que Fourier conçoit durant cette période
mourront de leur belle mort, avec quelques lignes de correspondance pour toute
épitaphe. Il nous reste cependant quelques documents sur la plus curieuse de
ces entreprises, la publication d’une brochure anonyme intitulée Mnémonique
géographique 18 .
Cet ouvrage n’est en
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