Fourier
persuader
Fourier d’écrire sur le mouvement libéral, pour la défense de la Charte de
1815. La réponse est sèche :
Je me garderai bien de m’occuper du sujet que vous m’indiquez
sur les sociétés constitutionnelles. Je me bats l’œil de toutes les
constitutions. Je ne les lis pas. Je sais qu’il n’y a que la force et l’astuce
qui dominent. Je vois que votre constitution sera flambée sous peu. Déjà se
forment les clubs d’amis de la religion, qui vous mèneront comme les Jacobins
ont mené les Feuillantins en 1792. Ils assommeront comme les compagnies de
Jésus ou Jéhu. Voilà tout leur plan, sauf à se radoucir sur les formes ; et si
votre journal prétend les contre-carrer, il sera mort et enterré sous six mois 46 .
L’Impartial des six premiers mois de 1830 est pétri d’attaques
contre le clergé, le ministère Polignac et « la camarilla des privilégiés ».
Muiron lui-même fait preuve d’une telle virulence contre le clergé et le
gouvernement qu’il est condamné à un mois de prison et trois cents francs
d’amende. Mais Fourier garde son recul :
Je vois qu’il serait inutile de vous envoyer des
articles tant que vous êtes si fortement préoccupé par les élections.
Malheureusement je n’augure pas de cette résistance aussi bien que vous ; je
vois que le parti libéral ne peut pas tenir contre les violences de l’autre...
Tout cela prouve que les illusions de liberté s’en vont à vau-l’eau. La liberté
n’est pas faite pour les civilisés; ils ne savent pas trouver le système où
elle coïnciderait avec les vues du gouvernement 47 .
A peine un mois plus tard, la tentative d’annulation des
élections et de suppression de la liberté de presse par le gouvernement
déclenche la révolution à Paris. Charles X est détrôné, et une nouvelle
monarchie constitutionnelle établie sous l’égide de l’orléaniste
Louis-Philippe. Fourier a surestimé la puissance des Bourbons et leur faculté
d’employer la force contre l’opposition. Mais il doute que le nouveau régime
soit meilleur que l’ancien.
Si Fourier reste relativement indifférent à la révolution de
Juillet, ses contributions à L'Impartial et sa correspondance avec Muiron
témoignent d’un souci marqué pour tout ce qui pourrait affecter sa ville
natale. Il a beau tempêter contre la Franche-Comté et les Bisontins, il est au
fond assez chauvin. Durant les années 1820, il est souvent revenu dans ses
lettres sur les brimades infligées à Besançon par le gouvernement, et
particulièrement les « Bourguignons » : le « rapt » de l’École de Besançon par
Dijon, ou, plus humiliant pour le grand amateur de défilés militaires qu’est
Fourier, « l’absurde » décision gouvernementale de transférer l’école
d’artillerie de Besançon à Auxonne 48 .
Le long séjour que Fourier vient de faire à Besançon a réveillé
son intérêt pour la politique locale. Il fustige, au détour d’un article, les
Bourguignons qui « se sont habitués sous Napoléon à parler en maîtres quand il
s’agit de spolier Besançon 49 » ;
dans un autre, qui ne sera pas accepté, il parle de sa ville natale comme d’une
« paria, un proscrit [...] la Cendrillon des capitales » aux yeux du
gouvernement 50 ; dans une lettre
signée à L’Impartial, il s’en prend également, et sur le même ton, au génie
militaire, protestant violemment contre la destruction d’un bosquet au bord du
Doubs qui servait de sanctuaire aux oiseaux : ce n’est là qu’un des nombreux «
traits de hideux vandalisme » perpétrés par les ingénieurs militaires et il est
nécessaire, afin de prévenir tout nouveau préjudice, de créer une « commission
d’embellissement » de Besançon qui aurait droit de veto sur ces actes de
vandalisme militaire 51 .
Muiron se permet parfois d’adoucir le style de Fourier, d’y
glisser quelque formule de politesse. La réaction ne se fait pas attendre :
Veuillez dire à ceux qui amalgament leur prose avec la
mienne que la petitesse et la bassesse ne sont point ma manière : qu’étant par
caractère ennemi du rôle de courtisan, de phrasier obséquieux, je ne ferai pas
la sottise de prendre ce rôle avec des concitoyens malveillants qui m’ont fait
diffamer à l’académie. Je sais trop bien que nul n’est prophète en son pays, et
c’est un motif de plus pour que je me garde de me traîner aux pieds des
Bisontins en leur adressant des éloges fades et exagérés auxquels
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