Fourier
critique 33 .
Plus que tous les précédents, cet article met Fourier hors de
lui. Bien que l’article ne soit pas signé, il se convainc que l’auteur n’en est
autre que Guizot, également meneur du « comité philosophique » qui tenterait de
le bâillonner. Il n’en faut pas plus pour qu’il esquisse toute une série de «
Réponses au détracteur Guizot » dont on pourra juger de la teneur d’après ce
plan manuscrit :
Répliques au détracteur Guizot : ses astuces et calomnies.
Son ignorance en politique ; 12 absurdités en une seule de ses pages. Son rôle
de professeur vandale 34 .
Les lettres de Fourier à Muiron, durant l’été 1829, sont
émaillées d’attaques contre « Guizot et ses comparses ». Muiron lui conseille
de suivre l’exemple du Christ en pardonnant à ceux qui le persécutent 35 , mais Fourier ne l’entend pas de cette
oreille : il réclame justice, et passe une bonne partie de l’automne à
peaufiner sa réponse à Guizot et autres « zoïles ». Le texte paraît en janvier
1830 sous forme d’un Livret d’annonce au Nouveau Monde industriel en
quatre-vingt-huit pages. Fourier s’efforce d’y résumer les arguments principaux
du Nouveau Monde industriel ; mais il cherche avant tout à confondre ses
détracteurs et à dévoiler les « complots » et « manœuvres » de Guizot et de la
Revue française, « le plan d’obscurantisme » selon lequel « des instructions
sont données à certains journaux par la coterie dirigeante ; et sous prétexte
de vol sublime vers la perfectibilité on écrase toute découverte qui porte
ombrage aux monopoleurs de génie 36 ».
Sans l’obligeance d’un jeune journaliste que connaît Fourier,
Amédée Pichot, le livret serait passé totalement inaperçu. Fin 1829, Pichot et
Paul Lacroix se sont associés à la tête d’une petite revue littéraire, Le
Mercure de France au XIXe siècle, dont la tendance, depuis sa création en 1823,
a quelque peu évolué : farouches défenseurs de la littérature classique à
l’origine, les éditeurs en étaient venus à accepter l’idée d’un « 1789 de la
littérature » et à s’identifier au jeune mouvement romantique. Pichot et
Lacroix, en reprenant l’affaire, maintiennent ce nouveau cap et se disent
intéressés par « tout ce qui est jeune en France ». Le 9 janvier 1830, sous la
rubrique « Économie politique », ils publient un compte rendu positif du
Nouveau Monde industriel et de la « victorieuse » réfutation des idées de
Guizot qu’est le Livret...
Il y a [dans le Nouveau Monde] tant d’excellentes
critiques, tant de poésie, tant d’éloquence, tant de génie, osons le dire, que
là où l’auteur nous paraît perdu dans les espaces imaginaires, nous doutons de
notre raison au moins autant que de la sienne 37 .
L’article, qui n’est pas signé, est surtout constitué de
citations de Fourier. Quelques mois plus tard paraît un compte rendu plus
étoffé : une analyse détaillée du Nouveau Monde industriel, signée par Victor
Considerant, « élève sous-lieutenant du génie », que les éditeurs présentent
généreusement comme « l’un des prosélytes les plus distingués 38 [de Fourier] ». De fait, c’est le premier
article publié dans une revue parisienne, à la fois favorable et bien informé
des idées de Fourier, et celui-ci devrait s’en réjouir. Or, si l’on en croit la
lettre qu’il adresse à l’éditeur du Mercure, il est loin d’être aux anges : «
Monsieur Considerant est un disciple très zélé [...] mais qui tombe souvent
dans l’erreur commune d’amalgamer les sophismes des philosophes avec ma
théorie. Je relevai dans son article 35 fautes de ce genre, faute dont chacune
eût exigé une réfutation 39 . »
Il est malaisé de satisfaire Fourier. Mais les éditeurs du
Mercure considèrent apparemment que ses idées font bonne presse puisqu’ils
publient en juillet 1830 un troisième article sur le Nouveau Monde : intitulé «
Dénouement des utopies anciennes et modernes ». Signé « Ch. Ph. », il est
l’œuvre du maître en personne 40 .
IV
La lutte continuelle que mène Fourier pour faire reconnaître ses
idées ne suffit pas à absorber toute son énergie, même dans les mois qui
suivent la publication du Nouveau Monde industriel. Comme il le fait lui-même
remarquer, sa passion dominante est la Papillonne et dans les moments
difficiles, qui réclament de grands efforts intellectuels, il aime à se
divertir d’« amusettes » :
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