Fourier
«
satisfaire toutes les classes et tous les partis ». Il lui suffit pour cela de
deux mois et de quelques subsides.
III
Sitôt l’ouvrage imprimé, Fourier retourne à Paris mettre en
œuvre une campagne de promotion semblable à celle qui avait annoncé le Traité
de 1822. De nouveau, il prodigue livres et longues lettres à divers
politiciens, journalistes, écrivains, dont Chateaubriand, Decazes, Hyde de Neuville,
le dramaturge Népomucène Lemercier, et certains journalistes associés au Globe,
au National, ou à La Revue de Paris. Au baron de Férussac, le seul à avoir
signé un compte rendu plutôt favorable du Traité, il envoie un courrier de
vingt et une pages le pressant d’engager son nom (et son argent) dans une
Société de réforme industrielle, qui réfléchirait aux « vrais moyens
d’extinction de la mendicité, la répression des fourberies commerciales, et les
fausses libertés dont on leurre le siècle depuis quarante ans 28 ». La nouvelle Société de propagation des
sciences et de l’industrie, dont font partie Jacques Lafitte et Casimir Perier,
reçoit la même proposition 29 . Mais
les réactions se font attendre 30 .
Qu’à cela ne tienne, Fourier expédie une seconde fournée de lettres proposant
de fournir des « explications verbales » à tous ceux qui seraient intéressés
par ses idées. Il sollicite des contributions pour ses « frais de publicité »,
demande à Muiron de l’aider, essaie même de placer une annonce payée dans un
journal. Le 2 mai 1829, les lecteurs du Journal des débats apprennent - par
Fourier lui-même probablement - que l’achat du Nouveau Monde industriel leur
permettra de se familiariser avec une découverte remarquable qui fera :
QUADRUPLER SUBITEMENT LE PRODUIT EFFECTIF DE
L’INDUSTRIE... REMPLACER TOUT IMPÔT DÉSASTREUX, DROITS RÉUNIS, SEL, TABAC,
LOTERIE, ETC. : ÉTEINDRE SOUS PEU TOUTES DETTES FISCALES... RENDRE LES TRAVAUX
PRODUCTIFS PLUS ATTRAYANTS, PLUS INTRIGUES QUE NOS FÊTES, BALS, FESTINS,
SPECTACLES... OPÉRER L’AFFRANCHISSEMENT DES NÈGRES ET ESCLAVES, SAUF RACHAT
CONVENU, LA CHUTE DE LA FÉODALITÉ, DE L’ILOTISME GREC OU AUTRE, DE LA
PIRATERIE, DES MONOPOLES MARITIMES ET AUTRES... ENRICHIR SUBITEMENT ET
COLOSSALEMENT TOUS LES SAVANTS, LES LITTÉRATEURS, LES ARTISTES, LES
INSTITUTEURS EXERCÉS... CHIMÈRES, VISIONS, VA-T-ON DIRE ! NON, C’EST UNE
SCIENCE NEUVE ET TRÈS MÉTHODIQUE 31 .
Fourier parvient à loger tout cela (et plus) dans une petite
annonce publicitaire ; tous ces grands mots font cependant modeste figure sur
une dernière page emplie de grands placards non moins extravagants vantant la
dernière panacée pharmaceutique ou les bains turcs.
Enfin, en mai et juin 1829, paraissent deux comptes rendus
relativement substantiels. Bien qu’ils soient tous deux négatifs, celui de
L’Universel, journal catholique, témoigne au moins d’une véritable lecture.
Après s’être quelque peu moqué du style de Fourier et de sa « bouffonnerie »,
le critique, anonyme, récuse une pensée qui refuse le choix moral et envisage
la société comme une « machine vivante dont les passions humaines sont les
rouages ». Fourier est un matérialiste, un hédoniste qui « cache sa doctrine
sous des mots savants et obscurs ». Perspicace, l’auteur se demande si Fourier
n’obéit pas à des considérations supérieures en « semant tant de bouffonneries
et de puérilités sur la route ». N’est-ce pas une façon de « dépayser le
lecteur, de couvrir d’un voile un matérialisme philosophique qui, dans sa
nudité, pouvait faire peur aux esprits timides 32 » ?
Le second compte rendu, beaucoup plus bref et superficiel,
paraît dans la Revue française, un bimensuel fondé en 1828 par un groupe de
libéraux orléanistes dont font partie Guizot et le duc de Broglie. L’auteur
commence par associer Fourier aux autres réformateurs de l’époque, « Robert
Owen, Miss Wright [Fanny Wright] et la secte du Producteur [les
saint-simoniens] ». Fourier, comme les autres, « imagine qu’on peut réformer la
société à la manière des couvents ; seulement il a la prétention d’admettre,
dans l’unité d’organisation qu’il propose, une variété infinie de fonctions qui
répond à celle des esprits, des vocations et des goûts ». Pour le reste,
l’article n’est guère qu’une compilation de détails saugrenus : « Il est
impossible d’accumuler plus de choses bizarres dans un style plus grotesque »,
conclut le
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