Fourier
Et
lorsqu’il propose à Louis-Philippe de désigner quelqu’un pour recevoir un cours
complet sur la théorie en dix leçons privées, il ne manque pas de préciser que
« le Baron Capelle avait accepté cette vérification par lettre du 24 juillet
1830 59 ». Just Muiron se fait
moins d’illusions, mais ne parvient pas à décourager Fourier, qui lui écrit, un
mois après la seconde réponse de Capelle :
Je n’admets point votre opinion sur sa décision que vous
croyez évasive. Vous ignorez les motifs que j’avais fait valoir dans mon
mémoire pour le tenter par l’intérêt personnel, et quoique vous l’ayez connu
personnellement, vous n’avez pu, d’après les affaires de préfecture, juger du
degré d’ambition dont il était susceptible 60 .
Malgré toute la subtilité de ses écrits sur les passions
humaines, Fourier n’est pas toujours très fin psychologue : il est tout simplement
incapable de douter de l’efficacité de ses appels rationnels à ce qu’il
considère comme l’intérêt personnel de ceux qu’il sollicite.
Plus intéressante que l’illusion permanente entretenue par une
correspondance à sens unique est la série de cours qu’entame Fourier en 1831
afin de faire connaître ses idées. Il semble qu’il ait d’abord envisagé de
déployer sa théorie de façon systématique, en une série de six conférences qui
seraient données dans une salle de location au Tivoli d’Hiver, rue de Grenelle-Saint-Honoré.
Le public devait être averti par invitation personnelle ou bouche-à-oreille.
Mais Fourier persuade les éditeurs du Mercure de France de publier une annonce
:
Une nouvelle mission sociale a commencé samedi dernier,
et aura lieu tous les samedis, à sept heures du soir, dans une des salles du
Tivoli d’Hiver, rue de Grenelle-Saint-Honoré, N° 47. M. Charles Fourrier [sic],
inventeur du système de l’attraction passionnée, expliquera lui-même sa
doctrine, dont le saint-simonisme n’est qu’un plagiat déguisé, dans sa partie
raisonnable.
Les éditeurs du Mercure en profitent pour opposer l’ascétisme de
Fourier à la vie « libertine » des disciples de Saint-Simon.
M. Fourrier n’a été ni un dissipateur, ni un libertin
comme l’apôtre de la rue Taitbout [...] M. Fourrier est un sage à la manière de
Pythagore, des brahmanes de l’Inde, peut-être même du grand Newton, qui mourut
vierge à quatre-vingts ans. Plusieurs dames assistent à ses conférences 61 .
Toutes ces assurances ne suffiront pas à mener le projet au-delà
de la deuxième conférence. Le lieu et l’heure n’ont sans doute pas été bien
choisis ; et la seconde conférence, qui n’a pas attiré grand monde, a été selon
Fourier gâchée par des « discussions triviales » et des « objections saugrenues
», dont il attribue la cause au fait que le public n’était pas assez préparé :
« Les séances tenues confusément sans un corps d’élèves distincts, favorisent
les discussions oiseuses et les objections saugrenues », note-t-il dans un
mémoire privé 62 . Dans une lettre à
Muiron, il ajoute : « Il faut prendre des mesures pour former le corps de
disciples 63 . »
En réalité, Fourier ne sait faire œuvre de vulgarisation et ses
conférences s’en ressentent ; il semble incapable de présenter ses idées
autrement que comme un tout à accepter d’un bloc. Comme le dit Muiron à son ami
Gréa :
Autant M. Fourier est habile à découvrir de savantes
combinaisons dans les sciences mises par lui en lumière, autant il laisse à
désirer en pratique et application pour leur faire faire du chemin dans notre
monde civilisé. Personne mieux que lui ne fait voir qu’il faut mener les gens
du connu à l’inconnu, leur faire goûter le beau, le bien, le vrai, par le
charme, par l’attraction, et personne peut-être ne s’écarte davantage de cette
voie si naturelle et si sage 64 .
Fourier devrait tabler sur la curiosité de son public, susciter
l’enthousiasme, au lieu de quoi il lui demande de « consentir froidement à une
étude préalable ».
CHAPITRE XXI
Les saint-simoniens
La légende veut que la révolution de Juillet ait rendu Fourier
euphorique, l’espace de quelques jours. Le 30 juillet au matin, en apprenant
que le roi Charles X a été renversé, il court faire part de la nouvelle à son
vieil ami républicain le docteur Amard, de Lyon. Alors que celui-ci appelait de
ses vœux une nouvelle constitution républicaine, Fourier aurait répondu
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