Fourier
le projet de rénovation et d’embellissement de la
ville de Besançon l’occupe de façon irrégulière depuis le début des années
1820. Alors qu’il travaillait à son Abrégé, il a plusieurs fois demandé à
Muiron les dimensions exactes (en pas) de divers monuments, murs, rues et
places de la ville. Bien que son intérêt pour ce projet ne se soit jamais
démenti et que l’on trouve dans ses papiers des douzaines de manuscrits et de
dessins s’y rapportant, une deuxième source de distraction vient s’y ajouter à
partir de 1829 : la rédaction d’articles pour un hebdomadaire que dirige Just
Muiron à Besançon.
Le premier numéro de L’Impartial paraît en mars 1829 41 . Il s’agit au départ d’une entreprise
assez conventionnelle, financée non par Muiron, mais par un groupe d’hommes
d’affaires bisontins. Muiron espère pouvoir y publier des articles sur la
théorie de Fourier et invite le maître à y contribuer lui-même, sans omettre
toutefois de préciser qu’il n’est pas libre d’imprimer ce que bon lui semble.
Fourier hésite d’abord : « Je ne vous ai rien envoyé pour le
journal », écrit-il à Muiron au printemps 1829, « parce que je ne suis pas bien
informé sur le caractère que vous voulez tenir, et je ne sais pas si la partie
que je pourrais le mieux traiter, celle des relations extérieures, vous
conviendra ». Son franc-parler risque de déplaire au comité de rédaction :
Ma manière n’est pas d’être en d’autres termes l’écho de
tout le monde. [...] Rien de fade, rien d’adulatoire ; des articles bien étayés
de faits et forts de raisonnement, où je ne flatterai ni le parti libéral, ni
l’absolutiste : voilà ma manière. S’il faut écrire autrement, je suis le
dernier des hommes 42 .
Les doutes de Fourier sont justifiés. Les collaborateurs de
Muiron se récrient contre l’un des premiers articles qu’il leur soumet, une
diatribe contre ses ennemis de toujours, les négociants en vin frelaté :
Vous me dites que l’article sur les boissons sera
beaucoup amendé, parce que les commanditaires sont des négociants. [...] Si vos
commanditaires sont marchands de vin, il peut se faire que le moyen leur
déplaise ; mais on ne peut prendre que sur les vendeurs d’eau les 50 millions
dont ils s’emparent : sur qui donc les prendrait-on ? Sur ceux qui payent l’eau
pour du vin 43 ?
Muiron parvient tout de même à faire publier un article de
Fourier concernant la politique extérieure, malgré les récriminations de ses
collègues contre ce qui ressemble plus à « une note à adresser au ministère des
Affaires Étrangères » qu’à un véritable article de presse. Or Fourier apprécie
d’autant moins ces réserves qu’il pense s’y connaître en journalisme et savoir
ce qui fait un bon article :
Qu’est-ce qui fait la fortune d’un journal ? C’est le
ton véhément, audacieux. Geoffroy attaquait Dieu et Diable (excepté l’Empereur
et ses favoris, Fontanes, etc.), et son ton indépendant, sa manière large et
pittoresque, firent la fortune du Journal des débats, qui serait resté dans le
bas étage s’il eût un feuilleton écrit à l’eau rose, farci de patelinage
académique 44 .
Fourier, Muiron et les actionnaires de L’Impartial finissent par
trouver un terrain d’entente. Fourier devient même collaborateur régulier,
publiant durant l’année 1830, avant comme après la révolution de Juillet, au
moins neuf articles non signés, sur les sujets les plus divers : les affaires
étrangères, la croissance démographique, la didactique, « l’inconstance des
saisons » ; le déclin des services de diligence est prétexte à illustrer le «
cercle vicieux de la concurrence actuelle » ; quant à l’« urgence de rectifier
la division territoriale de la France », c’est un sujet qui lui a toujours tenu
à cœur 45 .
Un seul chapitre reste tabou pour Fourier : la politique
intérieure. L’année 1829 voit s’aggraver le conflit entre le roi Charles X et
une opposition libérale de plus en plus déclarée. Au mois d’août 1829, alors
que l’opposition dispose apparemment de la majorité parlementaire, Charles X
nomme un cabinet réactionnaire conduit par le prince Jules de Polignac.
L’Impartial, comme la majorité de la presse française, prend alors fait et
cause pour les libéraux. Bien que Muiron sache le dégoût de Fourier pour les
discussions politiciennes, il s’est laissé prendre au jeu et tente de
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