Fourier

eux-mêmes ne
prétendent pas. J’invite donc ceux qui remanient mes phrases à ne pas me
travestir, ne pas me prêter le ton adulateur que je méprise. S’ils croient
leurs flatteries judicieuses, que ne les débitent-ils séparément ? Ils ont tout
le journal à leur disposition 52 .
    Les articles que Fourier soumettra par la suite seront rarement
remaniés... et rarement publiés.

V
    Quelque temps après la révolution de Juillet, un jeune écrivain
bisontin nommé Xavier Marmier rend visite à Fourier, dans sa petite chambre du
cinquième étage, rue Richelieu. La pure curiosité, qui, semble-t-il, l’a
motivé, ne l’empêchera pas, deux ans plus tard, alors qu’il commence à se faire
un nom comme journaliste à Paris, de se souvenir de Fourier et de brosser son
portrait :
    M. Fourier habite une chambre petite et chétive à un
cinquième étage. On arrive chez lui par un escalier étroit et tortueux, où l’on
risque vingt fois [...] de se rompre le cou. On le trouve auprès d’une pauvre
cheminée dans laquelle quelques minces tisons achèvent de se consumer. Deux ou
trois meubles de première nécessité et de mesquine apparence l’entourent, et
quelques livres çà et là, épars, des piles de manuscrits entassés dans un coin
ou répandus sur une table composent sans doute sa plus grande richesse. [...]
    M. Fourier était assis devant sa cheminée, en cravate
blanche, en petite redingote bleue ; sa mise est celle de l’homme qui a peu de
souci de ce que prescrit la mode, mais qui a cependant une ouvrière pour
blanchir son linge et un domestique pour brosser ses habits. La figure de M.
Fourier est belle et intéressante, des cheveux d’un blanc d’argent tombent sur
son front et l’encadrent sans le voiler; ses grands yeux bleus possèdent une
vivacité et une expression de regard comme j’en ai peu vu ; le caractère
distinct de sa physionomie est celui de la méditation 53 .
    Il est clair à ce moment-là que Le Nouveau Monde industriel n’a
pas rencontré plus de succès que le Traité de 1822. Mais ce constat, pas plus
que la révolution, ne modifie la routine ni les démarches publicitaires de
Fourier : il continue d’écrire aux hommes d’affaires et politiciens en vue pour
solliciter des subventions. La plupart de ses lettres sont une litanie des «
résultats », des bénéfices prodigieux que permettrait sa découverte, et des
raisons particulières qui pourraient pousser tel ou tel groupe à s’y
intéresser. Durant la première moitié de l’année 1830, les ministres de Charles
X ont droit à de multiples communiqués, dont la « Note sur la nécessité et la
facilité de faire une prompte diversion aux intrigues libérales et
philosophiques » n’est qu’un exemple 54 .
Après la révolution de Juillet, seuls changent les titres et les fonctions.
Fourier veut mettre sa théorie en pratique ; peu lui importe d’où vient
l’assentiment. Il libelle de longs essais à l’attention de Jacques Lafitte,
Casimir Perier et du Comité des progrès agricoles de la Chambre des députés 55 . En octobre 1831, il enrôle un député
lyonnais, J.-B. Dugas-Montel, pour faire circuler à la Commission sur
l’industrie un « Mémoire » de soixante-dix pages « sur les vices du système
d’industrie morcelée 56 ». Il ne
reçoit pour toute réponse que quelques lettres de politesse 57 .
    De toutes les initiatives que prend Fourier à l’époque, le
courrier qu’il échange avec le baron Guillaume-Antoine Capelle, alors ministre
des Travaux publics du gouvernement Polignac, revêt à ses yeux la plus grande
importance. Lorsque le ministère de Capelle est constitué, en 1830, Fourier lui
suggère par lettre interposée le moyen d’étoffer un budget qu’il juge par trop
restreint. Capelle se montre poli sans être dissuasif. Fourier renchérit alors
dans un mémoire faisant valoir sa propre théorie comme solution de tous les
problèmes du ministère des Travaux publics. De nouveau, Capelle répond
courtoisement et promet que les idées de Fourier seront « examinées avec toute
l’attention qu’elles méritent ». Quelques jours après, les Bourbons sont
renversés 58 .
    Les réponses du baron Capelle ne sont en fait guère plus que de
courtoises esquives, mais Fourier est prêt à saisir toutes les perches. Dans
son esprit, quelques mots vagues prennent valeur d’« accord », de preuve
formelle que le gouvernement est disposé à examiner sérieusement sa théorie.