Fourier
dissocier et à dissocier sa doctrine de ce qui est vite devenu
« l’échec de Condé ».
On a répandu que j’ai fait un essai à Condé-sur-Vesgre,
et « qu’il n’avait pas réussi » : c’est encore une des calomnies du pandemonium
; je n’ai rien fait à Condé ; un architecte, qui y dominait, ne voulait rien
admettre de mon plan... Il commença par bâtir une grande « rapsodie provisoire
» sur un terrain fangeux au-dessous du niveau des eaux. Je ne pouvais adhérer à
ce galimatias de bâtisse. J’abandonnai la partie, je ne m’en mêlai plus 51.
Fourier ne reviendra pas sur ce jugement. Ces quelques lignes de
La Fausse Industrie sont ses derniers mots sur la Colonie sociétaire de
Condé-sur-Vesgre.
CHAPITRE XXIV
Les dernières années
Quand vient l’automne 1833, la plupart des disciples de Fourier
ne se font déjà plus guère d’illusions sur le sort des deux projets conçus,
dix-huit mois plus tôt, dans l’enthousiasme général : les plans de création
d’une Phalange à Condé, abandonnés par Fourier lui-même et par la majorité de
ses disciples, sont en train de tourner court. Quant à la revue, elle ne paraît
plus qu’une fois par mois: ses premiers rédacteurs (Considerant, Lechevalier,
Transon) ont cessé d’y voir le véhicule idéal pour les idées de Fourier. Comme
pour beaucoup de disciples parisiens, il leur a suffi d’un an et demi de proche
collaboration avec le maître pour se convaincre de l’impossibilité de
travailler avec lui. Son dogmatisme et son intransigeance (sa « nature aride et
exclusive 1 », selon l’expression
de Victor Considerant) les rebutent ; quant à sa manière de vulgariser ses
propres idées, elle leur semble inepte et trop rudimentaire.
Un certain nombre de disciples décident donc, durant le dernier
trimestre de 1833, de suivre leur propre chemin, et, sans pour autant cesser de
se considérer comme disciples et épigones de Fourier, entreprennent de lancer
un mouvement fouriériste indépendant du maître : laissant la revue entre ses
mains, Considerant, Jules Lechevalier et Adrien Berbrugger partent pour une
vaste tournée des provinces. D’août à décembre 1833, Lechevalier harangue les
foules à Rouen, Bordeaux et Nantes, tandis que Considerant s’en va prêcher à
Montargis, Orléans et Besançon, et Berbrugger à Dijon et Lyon. Dans leurs
conférences, qu’ils appellent parfois, à la mode saint-simonienne, « missions »
phalanstériennes, ils s’efforcent d’atténuer l’accent que met Fourier sur
l’aspect scientifique et lucratif de sa doctrine. Alors que celui-ci la
présente comme une théorie pratique d’organisation industrielle, garantie par
l’expérience, et qui saura profiter aux investisseurs avisés, Considerant, de
son côté, pense qu’il faut « s’adresser surtout au sentiment social, donner
l’œuvre de Condé comme une tentative de haute philanthropie plutôt que comme
une pure spéculation, et intéresser les hommes par leur amour du bien public
[...] plutôt que par intérêt égoïste 2 ».
A peine un an plus tard, à l’automne 1834, Considerant publie le premier tome
de sa Destinée sociale, un ouvrage vivant et lucide qui présente la doctrine de
Fourier dans cette même optique, tout en en masquant les excentricités.
Nettement plus abordable qu’aucun de ceux de Fourier, le livre rencontre
beaucoup plus de succès, si bien qu’Hubert Bourgin n’hésite pas à en faire « la
première exposition du fouriérisme qui compte dans l’histoire des idées 3 ».
Tandis que l’effervescence règne parmi ses disciples, Fourier
poursuit ses propres activités. Il n’attend rien de leurs appels à la
générosité et ne partage guère leur volonté de toucher un public plus large. A
Muiron, il écrit : « Tous les petits clients, les menus partisans, ne servent à
rien et sont difficiles à diriger. Il faudrait en trouver un grand qui ferait
plus à lui seul que cent mille pygmées 4 ». Fourier n’en continue pas moins de jouer un rôle important dans la
publication de la revue. D’autre part, de décembre 1833 à janvier 1834, il
donne une série de conférences sur sa doctrine à la Société universelle de
civilisation (une société créée en 1829 par un groupe de libéraux notoires et
dont les cours du soir étaient surtout fréquentés par des « dames et gens du
monde * »).
* En 1835, la Société universelle de civilisation fut
placée sous surveillance par le préfet de police de
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