Fourier
souligne le caractère très modeste et
pragmatique de l’entreprise : « Je n’annonce rien d’absolu, je ne commence
point avec 600 colons, mais avec 150 ouvriers dont 60 maintenant logés et
nourris dans les premiers bâtiments de la future Colonie. » Baudet-Dulary
assume l’entière responsabilité de l’affaire, échec ou succès. Le rôle de
Fourier est donc celui de « conseiller indispensable », mais sans
responsabilité ni pouvoir 29 .
Ces nouvelles dispositions n’enchantent guère Fourier : il lui
semble une fois de plus qu’on le tient à l’écart de Condé comme on l’a évincé
du journal. Début juillet, il écrit à Muiron une lettre sarcastique sur la « dictature
» de Baudet-Dulary 30 . Et dans une
note datant de la même époque, il fustige l’incompétence de son collaborateur :
Depuis six mois je n’ose pas dire un mot dans le journal
sur Condé ; mais si je le voyais entre nos mains vous verriez comment je parlerais
et ferais venir les fonds. Mais Dulary par faiblesse [et] incapacité dérange
toutes les mesures. On ne peut compter sur rien avec lui, il donne dans tous
les pièges, il n’aime que ceux qui le trompent 31 .
Baudet-Dulary n’est d’ailleurs pas le seul à endurer son
courroux. Depuis quelque temps déjà, l’insatisfaction généralisée du maître à
pris pour cible Colomb Gengembre, l’architecte de Condé.
Gengembre, un ami commun de Devay et Baudet-Dulary, est un
professionnel aux idéaux exigeants et très « civilisés » ; il a du mal à
s’adapter aux prescriptions esthétiques et aux finances limitées d’« amateurs
». Dès le mois de mars, Fourier s’en prend à lui dans ses lettres à Muiron.
L’architecte veut absolument dépenser vingt-cinq mille francs en bois de charpente
et il faut toute la force de persuasion de Baudet-Dulary et de Fourier réunis
pour le convaincre de ne pas dilapider « tout et plus peut-être qu’on ne peut
avoir en caisse » pour l’achat d’un seul matériau. « Cela me fait augurer, note
Fourier, les résistances que j’éprouverai quand il faudra opérer 32 . »
Deux mois plus tard, Fourier est persuadé de l’incompétence, de
la mégalomanie et du caractère douteux de son architecte. Il écrit à Muiron :
Il nous vient quelques actionnaires, il en viendrait
beaucoup plus si l’architecte n’avait pas tout retardé pour essayer de nous
faire, de guerre lasse, adopter ses plans qu’il renouvelait sans cesse et dont
lui-même aujourd’hui confesse le ridicule ; mais l’orgueil le tourmentait.
C’est un ergoteur qui veut rond si l’on veut carré, et carré si on veut rond;
j’ai opiné à le congédier et prendre un maître maçon qui exécutera fort bien
nos constructions toutes rurales 33 .
Vient l’été et Fourier en est à se demander si Gengembre n’est
pas un saboteur décidé à « faire avorter la campagne, en dissipant les capitaux
à des folles constructions, à des babioles 34 ». Cela lui semble d’autant plus probable que l’architecte s’oppose fermement à
la construction d’une « rue galerie », innovation architecturale sur laquelle
comptait Fourier pour attirer l’attention d’actionnaires potentiels.
Les disciples dans l’ensemble ne partagent pas l’opinion de leur
maître sur les motivations cachées de l’architecte 35 . Mais ils sont de plus en plus nombreux à douter de sa
compétence et de son jugement. Or ce scepticisme semble devoir être confirmé en
juillet lorsque Gengembre propose sa dernière extravagance (selon Fourier) :
une porcherie aux murs de pierre épais de 45 cm sans la moindre ouverture !
Fourier écrit à Muiron :
Cet homme, qui “ n’avait point de matériaux ” quand il
fallait bâtir pour les Sociétaires, en trouve aujourd’hui à foison pour faire
cent vilenies. A ne parler que des plus récentes, il a, depuis le nouveau
règlement ou dictature, construit les “ porcheries ” suivantes :
1. Porcherie ou étable à cochons en superbes murs de 18
pouces bonne pierre. L’édifice des maîtres ne devait avoir que des murs de 6
pouces en torchis. Ainsi les cochons seront trois fois mieux logés que les
messieurs. Ne pouvait-on pas épargner ces matériaux et placer les porcs jusqu’à
nouvel ordre dans une baraque de planches. On loge ainsi à Besançon des chevaux
d’officiers, plus gros messieurs que les cochons.
Le beau côté de la porcherie est qu’il en a élevé les
murs sans y faire de porte, de sorte qu’il faudra
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