Fourier
d’articles de Fourier. Malheureusement, ils brillent plus par leur
ton injurieux ou leurs titres insolites que par leur contenu. Pour la plupart,
ce sont soit de violentes diatribes contre les « poltrons » et les « zoïles »
de la scène intellectuelle parisienne, soit des appels de fonds et des demandes
de parrainage. Fourier consacre bien une série d’articles à sa proposition de
création d’une Phalange d’enfants, mais l’ensemble garde un côté superficiel et
nébuleux 9 . Le maître ne s’est pas
départi non plus de son habitude d’apporter à la dernière minute des
modifications substantielles; c’est ainsi que, le 4 février 1834, il écrit à
Muiron : « Le journal a été bien retardé cette fois, parce que j’ai jugé à
propos d’en changer tout le sujet à l’époque du 20 janvier, et d’y placer deux
articles qui pussent être envoyés à M. Thiers. L’un est pour lui faire valoir
les avantages fiscaux, l’autre pour le désabuser sur ma Cosmogonie 10 . »
Fin mars 1834, moins d’un mois après qu’a paru le dernier numéro
du Phalanstère, le siège de la revue, rue Joquelet, ferme définitivement ses
portes et Fourier doit évacuer l’appartement qu’il y occupe depuis deux ans.
Ainsi s’achève la période où il a été en contact quotidien avec ses disciples.
Dorénavant, il vivra tout seul dans un petit appartement du 9, rue
Saint-Pierre-Montmartre (l’actuelle rue Paul-Lelong), au cœur de ce quartier du
Sentier qu’il habite depuis 1822.
I
Quand, au printemps 1834, Fourier quitte les bureaux du
Phalanstère pour s’installer dans un petit appartement privé, ses disciples
prient pour qu’il renonce à jamais au journalisme. Depuis longtemps,
Considerant et Muiron le pressent d’abandonner la vulgarisation de ses idées et
de se remettre au grand traité théorique dont les deux tomes de 1822 ne sont
qu’un début. En septembre 1833, Considerant réussit même à lui extorquer la
promesse solennelle de faire paraître « un troisième tome » du Traité :
Considerant s’engage à réunir les mille cinq cents francs nécessaires à l’achat
du manuscrit et aux frais d’impression, si Fourier, de son côté, promet de
livrer le travail dans les sept mois et de se consacrer à une liste de sujets
allant du « système des relations extérieures des Phalanges en Haute Harmonie »
à « la théorie fixe des caractères et la démonstration rigoureuse qu’ils sont
au nombre de 810 [...] ainsi qu’il a été avancé sans preuves dans les volumes
précédents 11 ». Huit mois plus
tard, dans une lettre à Albert Brisbane, un disciple américain, Fourier parle
toujours de ce troisième tome : ce sera une présentation « romantique » de sa
doctrine, qui viendra faire contre poids à la facture « classique » du Nouveau
Monde industriel 12 . Personne n’en
verra jamais la couleur.
A vrai dire, même avec la meilleure volonté du monde, Fourier
n’est sans doute plus en mesure d’ajouter un troisième tome à son Traité. Il
vient de passer dix ans à simplifier et résumer ses idées dans l’espoir de
trouver un mécène ; son énergie créatrice est déjà tellement diminuée qu’il ne
peut guère plus que se répéter. Ses derniers manuscrits témoignent bien de
quelques maigres ébauches de troisième tome, mais elles sont dénuées de toute
conviction, et aussitôt abandonnées. Muiron et Considerant l’exhortent-ils à se
remettre au travail ? Il répond sur un ton évasif ou bien se borne à répéter
que ce troisième volume doit impérativement commencer par un résumé « sur le
mode familier » de ses précédents ouvrages. Muiron se plaint :
Le maître semble vouloir me prouver qu’une brochure de
lui vaut mieux que le volume demandé. C’est toujours le même cercle vicieux, la
même illusion d’où il paraît ne jamais vouloir sortir et qui le fait croire à
son aptitude pour la propagation. Il faut grande persévérance et redoublement
d’adresse pour l’amener à comprendre qu’il doit travailler pour le petit nombre
des esprits supérieurs qui s’élèvent à lui et non pour un vulgaire tout à fait
stupide devant ses grandes découvertes. Voilà tantôt quinze ans que je raisonne
ainsi 13 .
Mais Fourier n’est pas convaincu. Il a une idée fixe : trouver
un protecteur puissant, un homme qui serait prêt à faire pour lui ce que le
confesseur de la reine Isabelle a fait pour Christophe Colomb. Plus que jamais
il croit que,
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