Fourier
s’il doit trouver cette perle rare, ce ne sera pas grâce à un
continuel raffinement de sa doctrine, mais plutôt à une présentation très
simple de ses idées et à une mise en valeur des récompenses qui ne manqueront
d’échoir à l’heureux élu.
Pendant le printemps et l’été 1834, tout en s’installant dans
son appartement, Fourier continue d’écrire des brouillons d’appels de fonds aux
hommes politiques bien placés. Adolphe Thiers, le ministre de l’Intérieur,
constitue une de ses cibles favorites : on trouve dans les manuscrits de
Fourier pas moins de cinq brouillons d’une lettre adressée à Thiers, où il
demande au gouvernement de financer la fondation d’une Phalange d’essai
composée de trois cents enfants et de quarante adultes responsables. Cette
proposition, déjà présentée dans ses articles, se chiffre à 600 000 francs.
Mais que le gouvernement accepte et il se verra récompensé par le ralliement de
tous les députés, légitimistes et républicains compris, par une production
nationale doublée en l’espace d’un an, et par la consécration de la conquête de
l’Algérie sans aucun autre recours à la force militaire. « Alger peut dès l’an
prochain devenir un superbe royaume pour le fils cadet du Roi ; et si on le
veut, les Bédouins, Maures, Kabyles seront dès le mois d’octobre des
cultivateurs plus dociles et plus actifs que les jardiniers de la banlieue de
Paris 14 . »
En août 1834, Fourier revient à la charge. Cette fois, c’est la
nouvelle que la Chambre des députés vient de créer une commission pour discuter
de l’abolition de l’esclavage qui l’incite à entamer un pamphlet : rédigé sous
forme d’une lettre aux députés, il a pour but de les informer que l’auteur est
le seul à connaître le moyen d’une émancipation sans violence à l’échelle
planétaire. A l’origine, le pamphlet ne devait pas dépasser soixante-douze
pages. Mais une fois lancé, Fourier ne peut plus s’arrêter : il finit par
accoucher d’un livre fort long et pour le moins curieux intitulé La Fausse
Industrie morcelée, répugnante, mensongère, et l’antidote, l’industrie
naturelle, combinée, attrayante, véridique, donnant quadruple produit.
II
Peut-être les affirmations de Fourier sur la subtile et
rigoureuse logique qui était censée sous-tendre la curieuse apparence de sa Théorie
des quatre mouvements n’étaient-elles pas sans fondement. Mais on ne trouve
rien de semblable dans La Fausse Industrie, une œuvre plus bizarre encore, sans
queue ni tête, qui commence à la page 409 et requiert tant d’œils de caractères
différents qu’au bout de trois mois les imprimeurs se plaignent déjà de ne plus
en avoir assez 15 . Il s’agit d’une
véritable mosaïque faite d’articles, de pamphlets, de polémiques, de réponses à
certains de ses détracteurs, de promesses alléchantes à des bienfaiteurs
potentiels, et de « confirmations » de déclarations passées.
Fourier explique d’ailleurs dans le corps même du texte qu’il
n’avait pas au départ l’intention d’écrire un livre, mais qu’il s’est laissé
peu à peu dépasser par son pamphlet sur l’abolition de l’esclavage : « Lorsque
j’en étais au chapitre VI, une nouvelle insulte de journaliste me décida à
riposter sévèrement. » Qu’à cela ne tienne, il agrémente aussitôt son pamphlet
d’un plan de « Greffe de la Presse » qui explique aux gouvernements et préfets
de police comment protéger les droits d’« inventeurs obscurs » contre le «
despotisme de la presse anarchique ». Quelque temps plus tard, après avoir reçu
« des documents précis » sur la politique économique du dictateur paraguayen
José Gaspar Rodriguez Francia, Fourier décide de transformer en livre son
factum et d’en modifier le caractère :
A peine commençais-je la seconde section, qu’un
renseignement imprévu vint changer mon plan ; je reçus des documents précis sur
l’affaire du Paraguay. Elle me fournit une PREUVE DE FAIT [...] que Francia,
borné au 20e des moyens que je possède [...] réalise en très-bas degré le
mécanisme d’industrie combinée 16 .
On peut avoir des doutes sur la précision des documents envoyés
à Fourier : le petit Etat policier sur lequel le docteur Francia règne alors en
despote n’a aucun point commun avec la Phalange. Mais Fourier veut à tout prix
croire à la mise en pratique de son invention. Il est même tout à fait prêt
Weitere Kostenlose Bücher