Fourier

belle saison déjà très avancée, et
le début ne pouvant pas avoir lieu hors des mois de culture, il est renvoyé au
printemps prochain. En attendant on continue les travaux, et l’installation
sera d’autant plus facile en mai 1834 42 .
    Malgré les efforts que fait Fourier pour prendre les choses du
bon côté, un sentiment de frustration règne parmi les disciples. L’architecte
parti, les critiques se tournent contre Baudet-Dulary que beaucoup considèrent
comme dangereusement indécis et dont Considerant dit qu’il « fait des bêtises
[...] non pas chaque jour mais chaque heure du jour 43 ». Fourier et un certain nombre de disciples se mettent
alors en quête d’un autre fondateur. A la fin du mois d’août, Lechevalier écrit
à Fourier : « Transon me donne ce matin des nouvelles de Condé; cela va
toujours faiblement, dit-il, et je le crois sans peine. Néanmoins, je ne
désespère pas encore tout à fait si nous pouvons arriver à assez de faveur dans
l’opinion pour trouver d’autres fondateurs 44 .
» Le maître, lui, est convaincu qu’il n’y a plus rien à espérer de l’entreprise
de Baudet-Dulary à Condé. Il s’en détourne peu à peu et, de fin juin à début
août, publie dans Le Phalanstère une série d’articles autour de l’idée de
Phalange d’enfants, une expérience associative économique et rapide qui
pourrait fonctionner avec un nombre réduit de cinq cents enfants de moins de
douze ans. Ce sera là le dernier d’une longue série d’efforts pour simplifier
sa formule d’association 45 .
    Le 22 septembre 1833 se tient à Condé la première assemblée
générale des actionnaires de la Colonie sociétaire. Fourier se déplace en personne,
malgré la journée de voyage que cela implique. Just Muiron, Victor Considerant
et Abel Transon sont également présents, mais seuls treize des quarante-huit
actionnaires ont pu faire le voyage. Le principal objet de la réunion est la
lecture par Baudet-Dulary d’un long rapport pessimiste. Retraçant les
différentes étapes de la colonie, il rappelle qu’il est encore loin de pouvoir
établir une société en commandite au capital de 1 200 000 francs. Le montant
total des fonds collectés est de 378 000 francs, dont il a lui-même fourni la
plus grosse part : « Avec d’aussi faibles ressources, nous n’avons pas pu
élever un Phalanstère », constate-t-il.
    Ce que nous ferons l’année prochaine, nous ne pouvons le
savoir encore ; cela dépendra des secours qui arriveront cet hiver. Le public,
surtout en province, commence à prêter une sérieuse attention à la théorie
sociétaire ; un grand nombre d’hommes généreux s’intéressent à l’entreprise de
Condé, et on peut espérer bâtir au printemps une portion du grand édifice 46 .
    Bien qu’il n’en soit pas fait mention dans le journal, il
semblerait que le rapport de Baudet-Dulary ait été suivi d’un discours de
Fourier 47 : il s’agirait d’un
résumé des méfaits de l’architecte et d’un renouvellement de sa proposition de
Phalange d’enfants qui avait déjà été accueillie avec enthousiasme par
plusieurs de ses disciples 48 .
    Cette réunion ne signe pas la fin de la Colonie sociétaire mais
ne lui donne pas non plus un nouveau départ. Quelques mois après, les disciples
lancent une nouvelle campagne pour la fondation d’une Phalange d’enfants. Le
projet, qui concernerait 250 enfants, ne coûterait que 250 000 francs 49 . Mais cette somme est encore trop élevée
pour les disciples. En 1836, la société de Baudet-Dulary est légalement
dissoute. Il reste propriétaire de Condé-sur-Vesgre, mais rembourse totalement
tous les autres actionnaires. Les derniers comptes évaluent ses pertes à 487
000 francs 50 .
    Plus tard, Condé sera le site de nouvelles tentatives de
réalisation des idées de Fourier, sous une forme ou une autre. Mais elles
resteront modestes et, à la fin du XIXe siècle, Condé n’est guère plus qu’une
retraite campagnarde pour les sympathisants de ce qui reste du mouvement. C’est
toujours aujourd’hui une retraite pour les petits-enfants des petits-enfants
des disciples de Fourier.
    Si l’assemblée de septembre 1833 ne signe pas l’arrêt de mort de
la Colonie sociétaire, elle marque bel et bien la fin de la collaboration de
Fourier. Il ne retournera plus jamais à Condé et se désintéressera totalement
des tentatives de sauvetage ultérieures. Au contraire, il cherchera par tous
les moyens à se