Fourier
à
reconnaître que l’expérience a déjà été tentée avec succès, fût-ce par un autre
que lui.
N’ayant pas eu de mal à se convaincre que sa théorie vient
d’être expérimentalement démontrée, Fourier n’éprouve dès lors plus le besoin
d’épiloguer sur sa subtilité ou sa logique rigoureuse.
Il peut maintenant se contenter de recourir à l’exemple du
Paraguay en disant : « Regardez, ça marche ! » Ce qui importe plus que jamais,
selon lui, c’est d’attirer l’attention sur les résultats eux-mêmes - la
production quadruplée, la maîtrise de la nature, les satisfactions d’ordre
psychique, les « prodigieuses récompenses » qui attendent les fondateurs - et
de dissiper les éventuels malentendus dans la tête des lecteurs. Il répète donc
avec insistance tout au long du livre que son système, contrairement à celui
des saint-simoniens et des oweniens, ne menace en rien la propriété privée 17 ; il prend la peine d’expliquer
longuement que « dans les deux premières générations » d’Harmonie, il n’y aura
« aucun changement en coutumes d’amour » et qu’après cela les innovations
seront « votées à l’unanimité par les pères et les maris » ; il met également
ses lecteurs en garde contre diverses interprétations « sottes » et « plates
calomnies » concernant sa cosmogonie ; pour finir, il propose une analyse
détaillée de ses détracteurs, qu’il divise en trois catégories : les envieux,
les minotaures et les bâtards 18 .
Fourier consacre environ un an à La Fausse Industrie. Il expédie
son travail à l’imprimeur chapitre par chapitre ; mais quand les épreuves lui
reviennent, il y apporte tant de modifications que l’éditeur se plaint de voir
plus que doubler le coût de revient 19 .
Enfin, en septembre 1835, le livre est imprimé et relié. Comme par le passé,
Fourier en envoie des exemplaires à ses disciples de province, à ses vieux amis
comme Amard ou le jeune Bousquet, à ses nouvelles connaissances comme Flora
Tristan* et à des commanditaires éventuels comme Adolphe Thiers ou le duc de
Broglie 20 . Il aurait pu s’en
épargner la peine : source d’embarras pour ses disciples, La Fausse Industrie
suscite encore moins de réactions que ses autres ouvrages. La raison ? C’est
tout simplement un livre inintelligible pour quiconque n’est pas déjà versé
dans la philosophie de Fourier.
* La grande féministe Flora Tristan (1803-1844) n’est pas
encore connue quand elle se présente à Fourier en août 1835. Deux mois plus
tard, elle lui écrit : « Chaque jour, je me pénètre davantage de la sublimité
de votre doctrine. » Bien que Flora Tristan soit trop indépendante pour
totalement se satisfaire d’une théorie unique, elle a, semble-t-il, cru, du
moins pour un temps, que le meilleur moyen d’étancher son « désir ardent de
pouvoir [se] rendre utile » à la cause des pauvres et des opprimés était de
s’associer avec les fouriéristes. Lettre du 11 octobre 1835 de Flora Tristan à
Fourier, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine B1040,
citée par Jules-L. Puech, dans La Vie et l'œuvre de Flora Tristan (Paris,
Rivière, 1925), p 70. Voir également la lettre du 22 avril [1836] de Tristan à
Fourier, AN 10AS 25 (3).
Fourier, lui, se reproche de ne pas avoir assez fait de réclame
pour son livre. En novembre, il s’attelle à une brochure qui sera censée
attirer l’attention sur La Fausse Industrie. Un mois plus tard, cette brochure
dépasse les cinquante pages. Muiron s’en plaint amèrement à Clarisse Vigoureux
:
Cela me désole toujours de le voir ainsi dévorer
l’avenir et dissiper son argent aussi bien que son temps à imprimer des “
feuilles d’annonce ” si intempestives : il m’avise que son nouveau factum aura
trois feuilles, qu’il le répandra dans Paris à 1 000 exemplaires, etc., etc.
J’en reviens à mon idée de ne lui remettre de l’argent qu’en échange de
manuscrits aux termes de son engagement de septembre 1833 21 .
Fourier passe une année de plus sur cet opuscule, qui finit par
devenir le second tome de La Fausse Industrie. Il n’y va plus par quatre
chemins pour solliciter le soutien financier d’hypothétiques bienfaiteurs : si
le baron Rothschild veut bien se charger de fonder la première Phalange, il se
verra récompensé par le retour du peuple hébreu à Jérusalem et la fondation
d’une « dynastie Rothschild... sur le trône de David et Salomon ». A
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