Fourier
Daniel O’
Connell Fourier promet la délivrance de l’Irlande et du monde entier « pour la
fin de juin 1837 ». Au tsar de Russie, des ports qui ne gèleront pas au nord du
cercle arctique. Quant au pape, il « eût rallié au christianisme la majorité
des peuples mahométans, brahmanes, bouddaïstes et idolâtres 22 ». Ce second tome paraît début 1837 ;
comme le premier, il passe quasiment inaperçu. Michel Butor résume bien La
Fausse Industrie : pour lui, c’est « une bouteille à la mer, une énorme lettre
lancée à la recherche de son destinataire, le candidat possible 23 ».
III
Bien avant la publication de La Fausse Industrie, Fourier
répétait déjà à qui voulait l’entendre que la France était « le paradis des
sophistes et l’enfer des inventeurs » et que la mise de fonds nécessaire à la
fondation de la première Phalange d’essai viendrait probablement d’un pays
étranger. L’échec de la tentative de Condé-sur-Vesgre ne réussit qu’à renforcer
le mépris de Fourier pour ses compatriotes. Mais il hésite sur l’attitude à
adopter envers les autres pays : parfois, il fait taire son habituelle
anglophobie pour se tourner vers l’Angleterre, mais il peut tout aussi bien
déclarer que l’Occident est à jamais corrompu et qu’il faudrait une nation orientale
« sociable », comme la Russie, pour mener à bien l’expérience 24 . Pendant un moment, vers le milieu des
années 1830, il semble qu’en dépit des préférences de Fourier, l’honneur de
fonder la première Phalange puisse revenir à la principauté danubienne de
Valachie (actuellement en Roumanie).
Durant les dernières années de sa vie, Fourier entretient en
effet une correspondance plus ou moins régulière avec un groupe d’étudiants et
de jeunes propriétaires terriens de Valachie qui voient dans ses idées un
remède possible à la pauvreté et au retard industriel de leur patrie 25 . Le plus ardent de ces admirateurs
roumains, un jeune homme appelé Théodore Diamant, licencié du Collège français
de Saint-Sava de Bucarest, est venu faire son droit à Paris et, après un court
flirt avec les saint-simoniens, a rencontré Fourier en 1832*.
* Sur Théodore Diamant (ou Mehtupciu-Diamant), voir, outre
les sources citées dans la note 25, l’introduction de Gromoslav Mladenatz aux
Scrieri economice de Diamant (Bucarest, 1958). D’après les archives roumaines,
Diamant était ingénieur et géomètre de formation ; mais Castelvera, dans sa
lettre à Fourier datée du 29 avril 1832 (AN 10AS 25 (9)), parle de Diamant comme
d’un étudiant en droit de tendance saint-simonienne qui habite au 78, rue de la
Harpe.
Pendant son séjour parisien, qui durera jusqu’en mars 1834,
Diamant contribue personnellement et financièrement à la cause fouriériste : il
achète des actions du Phalanstère, milite dans les rues pour tenter de
convertir les travailleurs parisiens, et fait publier à ses propres frais une
courte brochure fouriériste sur « un moyen de faire cesser le débat entre ceux
qui ont et ceux qui n’ont pas, sans prendre à ceux qui ont 26 ». Il présente Fourier à un certain
nombre de ses compatriotes : l’un d’eux, Ion Ghica, va suivre les cours de
Fourier à la Société de civilisation durant l’hiver 1833-1834 et se déclare
profondément touché par « l’éloquence et la poésie » de la langue du maître :
La description des beautés, des plaisirs, et des
satisfactions spirituelles et du cœur dans la cité phalanstérienne était faite
avec un grand charme [...] Il y avait une telle puissance et une telle aménité
dans sa façon de parler qu’il aurait été impossible à l’auditoire de ne pas
être captivé. Je quittais ces conférences à la fois étonné et exalté, convaincu
devrais-je dire.
Ghica est tellement ému par le lyrisme des conférences de
Fourier qu’en sortant, sur les Champs-Elysées, il a l’impression d’être entouré
d’« anti-lions plus doux que des agneaux », de traverser des mers, conduit par
des « anti-dauphins » et des « anti-baleines », et d’être transporté dans les
airs sur les ailes « d’anti-vautours » 27 .
Théodore Diamant, qui a regagné Bucarest en mai 1834, se sent
plus attiré par les idées économiques de Fourier que par sa zoologie poétique.
Il n’en est pas moins fervent dans son engagement fouriériste : d’après les
souvenirs de Nicholas Cretulescu, son cousin (qu’il a également présenté à
Fourier),
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