Fourier
Diamant « n’avait d’autre aspiration à son retour de Paris que celle
de la constitution des Phalanstères », et il prêchait le fouriérisme « avec
toute l’ardeur dont il était capable ». En juin 1834, Diamant fait paraître un
article sur le système de Fourier dans une revue importante de Bucarest et
tente d’y intéresser les ministres et même le gouverneur russe, le comte Paul
Kiselev 28 . S’il ne réussit pas à
convaincre les autorités, il a plus de succès auprès des propriétaires libéraux
de Valachie, et, le même mois, il écrit une longue lettre à Fourier pour lui
demander de venir superviser un essai.
Y a-t’il espoir de faire en France au printemps prochain
à Condé ou ailleurs un essai ? Si vous en doutez, Monsieur, je vous prie de me
l’écrire sans délai, pour que nous vous envoyions avant le commencement de
l’hiver les frais nécessaires de voyage afin que vous veniez ici à Bucarest où
j’ai eu le bonheur d’obtenir d’assez bons résultats depuis vingt jours que je
suis arrivé. Trois terrains cultivés, dont chacun est bon pour une colonie, et
sur lesquels il y a quelques bâtiments pour un premier essai de colonie, sont
offerts par leurs propriétaires qui sont devenus des partisans zélés du procédé
sociétaire et admirent votre génie. Plusieurs autres boyards, médecins,
professeurs offrent de l’argent. J’aurais formé une société d’actionnaires,
mais je crois prudent d’attendre le retour de notre digne Prince, pour le faire
souscrire le premier.
Diamant évoque ensuite les plans qu’il est en train de dessiner
et demande des précisions sur « le nombre et dimensions respectives des
séristères, chambres, dortoirs, salles à manger, cuisines, etc. 29 ».
Fourier reste assez sceptique. Peu après avoir reçu cette
lettre, il confie à Cretulescu ses craintes que Diamant ne se soit laissé
emporter par son imagination : la théorie demande à être étudiée plus
longuement que ne l’a fait Diamant jusque-là 30 .
Mais le maître ne cesse pas pour autant de correspondre avec son disciple
roumain. En 1835, les deux hommes s’interrogent par lettre sur la possibilité
de fonder un Phalanstère d’enfants près de Bucarest 31 . Or, entre-temps, l’un des jeunes aristocrates convertis
par Diamant a décidé d’établir sa propre communauté « fouriériste », constituée
en majeure partie de serfs qu’il aura émancipés.
En mars 1835, c’est l’inauguration officielle, dans le village
valachien de Scaeni, sur les terres de Manolake Emanuel Balaceanu, d’une «
Société agronomique et manufacturière » prétendument fouriériste. Elle
ressemble fort peu au Phalanstère rêvé de Fourier : elle compte cinquante
membres à peine, des serfs libérés pour la plupart, qui semblent partager leur
temps entre le travail de la ferme, un peu d’artisanat, et un programme
éducatif fait de géographie, d’arithmétique, de dessin, de musique, de
français, de roumain et de catéchisme 32 .
Balaceanu, lui, ne doute pas un seul instant que sa communauté soit une
application directe des idées de Fourier. Selon Diamant, il veut à tout prix se
réserver « l’honneur d’être le fondateur du premier Phalanstère*».
* Lettre du 3/5 juin 1836 de Diamant à Fourier, AN 10AS 25
(3). Il semble que Diamant ait tout d’abord accepté de collaborer avec
Balaceanu : son nom figure sur les contrats d’association signés par les
membres de la communauté comme volontaire pour enseigner les mathématiques, «
l’économie sociale » et le français. Mais quand Balaceanu refuse de modifier
ses plans sur les conseils de Fourier et de s’associer à la mise en place d’une
Phalange d’enfants près de Bucarest, Diamant rompt avec lui. Dans sa lettre de
1836, il met Fourier en garde contre « l’ambition aveugle » et le mauvais
caractère de Balaceanu.
Mais, tout édulcorée que soit cette première expérience de
fouriérisme pratique, elle est encore beaucoup trop radicale pour la plupart
des boyards locaux. Ceux-ci, non contents d’y dénoncer le « fruit de l’esprit
rebelle français », font pression sur les autorités pour obtenir sa
dissolution. Selon toute vraisemblance, elle sera effectivement dissoute manu
militari en décembre 1836 33 .
Si l’on excepte la tentative avortée de Condé-sur-Vesgre, cette
« Société agronomique et manufacturière » établie dans un village valachien
constitue l’unique expérience de fouriérisme
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