Fourier
les bois qui surplombent la ville.
Pendant plusieurs semaines, il vit des pommes de terre et du pain qu’il
parvient à mendier, emprunter ou chaparder aux paysans. Puis, affamé, épuisé,
il reprend le chemin de Besançon. Il y retrouve sa famille et peut se rendre
compte qu’elle a eu moins de mal que lui à pactiser avec la Révolution.
Toujours prudent, son riche oncle François Muguet a versé de substantielles
oboles aux autorités locales 22 .
Quant à son beau-frère Clerc, l’époux de sa sœur Lubine, il est devenu membre
du tout-puissant Comité révolutionnaire de Besançon *.
* Léger Clerc, né en 1760 et mort au début de la
Restauration, épouse la sœur de Fourier en 1789 ou 1790. La Révolution le rend
aussi riche que puissant. Lors de la vente des biens nationaux en 1793, il fait
l’acquisition, pour soixante-cinq mille francs en assignats, du splendide hôtel
des Gouverneurs. Au lendemain de Thermidor, il est arrêté, en même temps que
d’autres membres du Comité révolutionnaire de Besançon. Selon l’acte
d’arrestation, il avait été l’un des plus « féroces » et des « plus
incendiaires » révolutionnaires de la ville. On l’accuse par ailleurs d’avoir
fait passer en contrebande des lingots d’argent en Suisse. On ignore si cette
accusation est fondée, mais on sait que jusqu’à l’heure de sa mort il restera
le jacobin enflammé de l’an II qu’il avait été. Sur Léger Clerc, voir ADD L 69,
AMB 128 #566 et 115 #9950 ; Gaston Coindre, Mon vieux Besançon, histoire
pittoresque et intime d’une ville (Besançon, 1960), 136 ; Jules Sauzay,
Histoire de la persécution révolutionnaire dans le département du Doubs de 1789
à 1801, 10 vol. (Besançon, 1867-1873), V, 337 ; VII, 24, 32.
Fourier de retour à Besançon, sa famille comme ses amis
l’adjurent de continuer à se cacher. Mais il est las, semble-t-il, de la
clandestinité. Il se croit en sécurité dans sa ville natale. Il s’y promène
librement. Et, comme il n’a ni papiers ni passeport en règle, il se retrouve
bientôt en prison. Il aurait pu alors appeler à l’aide son beau-frère. Il n’en
fait rien. Par peur, selon son biographe, de compromettre sa famille. Mais il
n’est pas interdit de penser qu’il a pu aussi trouver une sorte de repos dans
la vie de prisonnier. A aucun moment, en tout cas, il ne semble s’être senti en
danger. Selon sa sœur Lubine, il passe son temps sous les verrous, « sans trop
d’ennui, à jouer du violon ou à pincer de la guitare ». Au bout de quelques
jours, Mme Fourrier est avertie par la femme du concierge de la prison de ce
qu’il est advenu à son fils, que la prompte intervention de Léger Clerc fait
aussitôt relâcher 23 . Il ne
profitera pas longtemps de sa liberté recouvrée. Il vient à peine d’être libéré
et de recevoir de nouveaux papiers qu’il tombe sous le coup du décret du 23
août 1793 et de la « grande réquisition », qui enrôle tous les citoyens
français au service de la patrie en danger. Il entre même dans la catégorie
visée par l’article 7 : « La levée sera générale ; les citoyens non mariés ou
veufs sans enfants, de 18 à 25 ans, marcheront les premiers ; ils se rendront
sans délai au chef-lieu de leur district, où ils s’exerceront au maniement des
armes, en attendant l’heure du départ 24 .
»
Fourier répond sans excès de zèle à cet ordre de levée en masse.
Il a été libéré de prison en février ou en mars ; ce n’est que le 10 juin 1794
- le jour où est votée la « loi d’extermination » qui inaugure la Grande Terreur
- qu’il est incorporé au 8e régiment de chasseurs à cheval, régiment qui dépend
de l’armée du Rhin. Il doit sans doute le privilège d’être versé dans cette
unité d’élite (plutôt que dans l’infanterie, comme la plupart des conscrits) à
l’intervention, une fois encore, d’un parent : cette fois le colonel Brincour,
époux d’une de ses cousines Pion 25 .
Quiconque a connu Fourier sur le tard de sa vie aura toujours du
mal à imaginer quelle allure il dut avoir « sous le frac du chasseur à cheval
», juché sur sa monture, dans l’armée de l’an II. Cette armée était une armée
démocratique : pas le droit d’y envoyer de remplaçant. C’était aussi une école
de patriotisme où l’on apprenait aux soldats à haïr le contre-révolutionnaire,
le prêtre réfractaire et l’aristocrate émigré tout autant que l’Anglais,
l’Autrichien ou le
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