Fourier
des
belles ventes qu’en a un marchand à vendre quelques habits de drap. » Dans un
autre manuscrit, consacré à une sévère critique de la spéculation, Fourier se
souvient d’avoir « entendu citer à Marseille en 1792 les défunts Magon,
Escalon, et autres, qui gagnaient année commune cent mille francs sur le
brocantage du blé et du savon ». Les manuscrits font par ailleurs référence à
un voyage à Toulon, toujours en 1792, et il se peut que Fourier ait également
assisté à la grande foire de Beaucaire au mois de juillet de cette même année 12 .
Tandis que Fourier fait du commerce à Marseille, à Paris et dans
les provinces la Révolution suit son cours. En juin 1791, la perspective de
voir s’établir une monarchie constitutionnelle a été gravement compromise par
la fuite avortée du roi à Varennes. Au printemps 1792, la France déclare la
guerre à l’Autriche et à la Prusse. Revers militaires, pénurie, rumeurs de
trahison nourrissent un « mouvement populaire » radical à Paris et donnent
naissance à des clubs révolutionnaires et des sociétés populaires dans le reste
du pays. En juillet 1792, lorsque le fameux bataillon de volontaires monte de
Marseille à Paris afin de sauver la capitale de ses ennemis de l’extérieur et
de l’intérieur, la municipalité de Lyon comme celle de Marseille se trouve déjà
aux mains de « sans-culottes » proches des Jacobins parisiens.
Quelle fut la réaction de Fourier à ces événements, on l’ignore 13 . Peut-être jusqu’en fin 1792
conserve-t-il encore quelques restes de la vive sympathie qu’il avait
initialement éprouvée à l’égard de la Révolution et de ses idéaux ? L’année
1793, en revanche, va faire naître en lui une haine farouche, et qui ne le
quittera plus de sa vie, pour les révolutionnaires en général et les «
clubistes » jacobins en particulier.
III
Au printemps 1793, peu après avoir fêté son vingt et unième
anniversaire, Fourier fait le voyage de Besançon pour aller y recueillir sa
part d’héritage. La somme qu’il reçoit, le 23 mai 1793, après « un séjour d’un
ou deux mois dans sa ville natale », se monte à près de 43 000 livres *.
Certes, cette somme lui est payée en assignats dévalués, mais elle n’en reste
pas moins considérable : plus que la plupart des Français peuvent espérer en
toute une vie. Héritage en poche, Fourier retourne sur-le-champ à Lyon 14 . Il a apparemment l’intention de
s’établir dans le négoce des denrées coloniales. Toujours est-il qu’il donne
l’ordre qu’on lui expédie de Marseille riz, sucre, café et coton.
* Aux termes du testament laissé par son père, Fourier
n’aurait dû recevoir à l’âge de vingt ans qu’un tiers de son héritage. En fait,
la somme qu’il reçoit alors - 42 932 livres, 16 sous - en représente
l’intégralité. L’acte notarié, reproduit dans Pellarin, Fourier, 180-182,
précise que le paiement est effectué en assignats, le papier monnaie de la
Révolution, qui ne vaut plus alors que 40 pour cent de sa valeur nominale.
Difficile de plus mal choisir et son lieu et son moment pour une
telle entreprise. Juste comme Fourier se lance dans les affaires, Lyon entre
dans une période de troubles politiques. Courant mai, une violente réaction
commence à se faire sentir contre la politique du gouvernement révolutionnaire
parisien et contre la « dictature sans-culotte » établie à Lyon même par le
chef jacobin Chalier. Fin mai, l’insurrection éclate. Elle aboutit à
l’instauration d’un nouveau gouvernement « fédéraliste », qui s’empresse
d’emprisonner Chalier et les autres jacobins et rompt les relations avec Paris.
A ses débuts, cette insurrection des 29 et 30 mai a été en grande partie
inspirée par les Girondins modérés. Rapidement, toutefois, le mouvement «
fédéraliste » leur échappe. A la mi-juillet, Chalier est exécuté. Lyon est
devenu le lieu de ralliement des royalistes et des contre-révolutionnaires de
toute la France du Midi. Une armée s’y rassemble, sous le commandement d’un
général royaliste, le comte de Précy. Paris donne alors l’ordre d’assiéger la ville
rebelle 15 .
Soixante jours durant, Lyon soutient le siège organisé par le
gouvernement révolutionnaire. Fourier se voit réquisitionner ses balles de
coton pour en faire des barricades. Réquisitionnés également, et sans la
moindre indemnité, son riz, son sucre, son café, qui vont nourrir les
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