Fourier
Prussien. Avec son amalgame entre soldats de métier (de la
vieille armée royale), volontaires de 1791 et 1792 et conscrits de 1793, cette
armée parvient, au plus fort de sa gloire - période qui, sur le front intérieur,
coïncide avec la Terreur - à repousser l’ennemi aux frontières. Lorsqu’elle
remporte ses plus éclatantes victoires (notamment Fleurus, le 26 juin 1794),
Fourier, toutefois, est encore à faire ses classes, au dépôt du 8e régiment, à
Besançon. Lorsqu’il est enfin envoyé au front, il n’y trouve guère de quoi
nourrir l’amour qu’il porte aux aspects héroïques ou cérémoniels de la vie
militaire. Durant les dix-huit mois qu’il passera sous l’uniforme, l’armée du
Rhin, en effet, ne fait pas grand-chose d’autre que tenir des positions et
faire respecter au Palatinat un blocus sans grande utilité - ce qui fera dire à
Carnot qu’alors que les autres armées avaient opté pour une stratégie
résolument offensive, l’armée du Rhin semblait avoir décidé de rester à jamais
sur la défensive 26 .
Devant Mayence, la guerre fut sans doute moins héroïque encore
que n’importe où ailleurs sur le Rhin. Le 8e régiment de chasseurs y participe
à un blocus prolongé, et finalement inutile, de l’importante garnison
autrichienne. Lorsque ce blocus commence, quatre mois environ après l’arrivée
de Fourier au régiment, la campagne alentour a déjà été soumise à un pillage
intensif. On en a épuisé les ressources. Il faut désormais faire venir de loin
nourriture pour les hommes et fourrage pour les chevaux. Mais, sur les routes
défoncées, les carrioles qu’on réquisitionne pour le transport des vivres ne
font pas long feu. Les chariots de canon de l’artillerie connaissent le même
sort. Bientôt, le système de ravitaillement est dans le plus grand chaos.
Lorsque survient l’hiver de l’an II (1794-1795), beaucoup de troupes n’ont plus
ni chaussures ni vêtements chauds. Les soldats en sont réduits à manger des
racines, qu’ils déterrent de la pointe de leur baïonnette, et un ersatz de
pain, fabriqué avec de l’avoine et de la farine de pois, « répugnant aux yeux
et au nez ». Le printemps venu, les détachements spéciaux ont beau intervenir,
ils ne parviennent pas à empêcher les soldats de ravager la campagne et de
dépouiller les champs du blé en germe. Le nombre des déserteurs se multiplie :
au printemps, l’armée ne compte plus que la moitié de son effectif initial. «
J’ai eu souvent, dira plus tard de cette campagne un maréchal de Napoléon, l’occasion
de voir nos troupes souffrir de grandes privations, mais si elles ont été aussi
pénibles, elles n’ont jamais eu la même durée ; je n’en excepte pas même la
campagne de Russie 27 . »
Brève suspension des hostilités en mars 1795 avec la signature du
traité de Bâle, mais dès septembre la guerre reprend. Les forces françaises
passent enfin à l’offensive. Désormais réunie avec l’armée de Moselle, l’armée
du Rhin, sous le commandement de Pichegru, prend sans coup férir Mannheim le 20
septembre : la route de l’Est est ouverte. Mais Pichegru, qui devait d’ailleurs
faire plus tard défection et passer dans le camp autrichien, ne sait, ou ne
veut, exploiter son avantage. Fin octobre, les Autrichiens contre-attaquent,
boutant les Français hors de Mayence et Mannheim. Au cours de la retraite qui
s’ensuit, plus de quinze mille soldats français désertent pour reprendre le
chemin de la France, pillant en cours de route les magasins et entrepôts de
leur propre armée.
Aux yeux des observateurs contemporains, ces exactions restent
toutefois bien modestes au regard de celles qu’on attribue aux agents d’achat,
aux fournisseurs des armées et aux divers fonctionnaires employés par
l’administration militaire. Résumant les « désastres et atrocités » qui
accompagnèrent la retraite de l’armée du Rhin et de Moselle, le représentant
aux armées Becker note : « Tandis que [nos soldats] essuient mille privations,
ils voient les employés de toutes les administrations insulter à leur misère
par un luxe et une prodigalité qui accusent leur infidélité 28 . » Une semaine plus tard, le même
représentant, chargé de « la fichue mission » de réorganiser la cavalerie,
dresse ce tableau évocateur de l’état des troupes sur le point de regagner
leurs quartiers d’hiver :
Je ne peux te dépeindre le mauvais état dans lequel se
trouve la
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