Fourier
(tout comme la proposition similaire d’une « Union Phalanstérienne
» mise en avant par Just Muiron en 1836) ne ferait que contrecarrer son propre
programme de collecte de fonds et de publication d’une revue. Apparemment, la
réunion est une idée de Fourier, qui s’est sans doute mis en tête de jouer les
médiateurs entre Considerant et les dissidents*. Mais quand les deux factions
se rencontrent, le 31 juillet 1837, Considerant monopolise la parole. Fourier
intervient brièvement pour dire qu’il « voudrait voir maintenir l’unité, et que
pour cela des concessions mutuelles devraient être faites 70 ». Mais il n’y aura pas de concessions,
ni d’un côté ni de l’autre, et l’entrevue n’aura servi qu’à creuser le fossé au
sein du mouvement fouriériste.
* Dans une brochure publiée en août 1837, les dissidents
disent que Fourier leur était tout d’abord favorable, mais qu’après s’être
entretenu avec Considerant il se mit à craindre un schisme. « M. Fourier nous
dit que, bien que notre projet fût bon, il ne fallait pas seulement voir les
beaux côtés ; que cette scission d’efforts produirait sur le mouvement un effet
fâcheux, et qu’il fallait chercher encore à l’éviter. “ J’ai vu M. Considerant,
ajouta M. Fourier, et je crois devoir me poser en intermédiaire entre vous.
Remettez-moi une note résumée de votre projet, ou prenez un jour pour vous
expliquer avec Considerant devant moi.” » Aux Phalanstériens. La commission
préparatoire de l’Institut sociétaire (Paris, août 1837), 23 AN 14AS 1-8,
Institut français d’histoire sociale.
Peu après cette réunion, probablement à l’instigation de
Considerant et peut-être avec son aide, Fourier rédige ou dicte un papier
confirmant son soutien total « à la direction donnée à la propagande par mon
disciple et ami Victor Considerant 71 ». Ces quelques mots, qui pourraient bien avoir été écrits pour un Fourier
moribond par Considerant lui-même, constituent la dernière déclaration du
maître sur le mouvement, qui, malgré lui, porte son nom.
A partir de la fin juin 1837, Fourier reçoit régulièrement la visite
de Léon Simon, un médecin partisan de l’homéopathie, qui est également l’un des
nombreux fouriéristes venus de la religion saint-simonienne. Fourier n’apprécie
pas particulièrement ces visites. Le docteur écrira plus tard qu’il « subit
[sa] présence plutôt qu’il ne l’accepta ». Quand Simon le questionne sur ses
symptômes, il ne répond qu’avec réticence et reste dans le vague ; il se refuse
toujours à subir un examen physique complet ; et « tout dans son attitude et
son regard annonçait son peu de confiance dans l’art de guérir ». Quoi qu’il en
soit, il est indéniable que, comme le dit un de ses disciples, « toute la
constitution de Fourier!...] courait à la dissolution ». Aux nausées, diarrhées
et troubles rénaux vient s’ajouter un système digestif en complète capilotade.
Fourier manifeste pendant de longues périodes un tel dégoût pour toute forme
d’alimentation qu’on craint de le voir mourir de faim. Le docteur Simon lui
prescrit plusieurs médicaments et régimes, mais il ne s’y tient pas 72 .
Malgré sa faiblesse et sa continuelle perte de poids, Fourier
persiste jusqu’à la mi-septembre à vouloir mener une vie relativement normale.
Un jour, en montant l’escalier, il est victime d’une attaque qui lui paralyse
le bras gauche et provoque des douleurs lancinantes dans sa cuisse droite. Les
douleurs s’apaiseront peu à peu, mais la paralysie ne disparaît pas, et son
aversion pour la nourriture ne fait qu’augmenter. Fin septembre, Fourier a
pratiquement cessé de s’alimenter ; il interdit l’accès de son appartement à
tout le monde hormis une femme de ménage qui vient plusieurs fois par jour
prendre de ses nouvelles. Le 10 octobre 1837 au matin, elle le trouve mort,
agenouillé et appuyé au bord de son lit, vêtu de sa vieille redingote.
ÉPILOGUE
Avant d’enterrer Fourier, les disciples apportent « un soin
religieux », pour citer Pellarin, à « conserver tout ce qui pouvait être
conservé de la dépouille mortelle du maître » : ils font exécuter un masque
mortuaire et le docteur Simon, lors de l’autopsie, relève pour la postérité les
dimensions exactes du cerveau de Fourier. Au cimetière de Montmartre, Victor
Considerant prononce devant la tombe du maître une oraison funèbre qui « résume
de
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