Fourier
pain 62 . Fourier a toujours aimé le bon vin et
d’après Pellarin « il ne dédaignait pas d’y puiser une petite pointe de gaîté 63 ». Vers la fin de sa vie, cependant, il semblerait
que le penchant vire parfois à l’excès, comme en témoigne une lettre de Muiron
à Clarisse Vigoureux, datée de mars 1836 : « Je suis plus chagrin qu’étonné de
savoir par vous que la santé de M. Fourier va cahotante. Le frère de [Amédée]
Paget écrivait l’autre jour avoir vu le maître tout aviné au Luxembourg ; il
veut donc toujours boire outre mesure, en criant au poison 64 ! »
Fourier passe pratiquement tout l’hiver 1836-1837 confiné chez
lui. « Je suis si faible », écrit-il à son disciple Charles Harel en janvier
1837, « si fatigué par l’atonie d’estomac dérangé et dégoût de comestibles, que
je ne pourrai dîner avec personne [...] Je resterai donc à mon régime
d’abstinence et d’isolement 65 . »
Quelques semaines après, Fourier glisse en montant les escaliers, tard le soir,
et se fracture le crâne. La blessure finira par se cicatriser, mais le visage
de Fourier restera enflé.
Au printemps 1837, avec le retour du beau temps, la santé et le
moral de Fourier s’améliorent et, de temps en temps, il semble redevenir le bon
vieux Fourier d’autrefois, comme se le rappelle un de ses disciples anglais,
Hugh Doherty :
A peu près quatre mois avant sa mort, alors que nous lui
demandions des éclaircissements sur certains aspects de sa doctrine, comme nous
en avions l’habitude dès que nous rencontrions un passage difficile, il se
montra beaucoup plus enjoué que de coutume et, afin de nous donner une idée
juste de l’un des mots qu’il avait employés, il déclama, en bon acteur,
quelques vers de Molière qui résumaient parfaitement son idée. C’était la
première fois, dans nos nombreux entretiens avec lui, que nous le voyions rire
de si bon cœur 66 .
Mais en juillet, c’est-à-dire à peine quelques semaines plus
tard, un disciple provincial, Alphonse Tamisier, dresse le portrait d’un
Fourier bien diminué mentalement et physiquement :
Le génie de Fourier est éteint à tout jamais. Je reviens
de Paris, où j’ai eu l’honneur de le voir et de serrer cette main libératrice
de l’humanité. L’âge et la maladie ont étouffé jusqu’aux dernières étincelles
de cette vaste intelligence. Fourier ne jouirait même plus de son triomphe, si
son triomphe venait à lui être annoncé 67 .
Les impressions des autres disciples donnent cependant à penser
que son déclin n’est en rien si soudain ou absolu. Pellarin, Doherty et le
docteur de Fourier s’accordent tous à dire qu’il reste en pleine possession de
ses facultés mentales jusqu’au dernier moment. Il n’en est pas moins vrai qu’en
juillet 1837 Fourier est trop affaibli physiquement pour être en mesure de jouer
un grand rôle dans l’un ou l’autre des deux événements qui auraient pu revêtir
une certaine importance pour lui : sa rencontre avec Robert Owen d’une part, et
d’autre part ses tentatives de médiation entre ses disciples.
C’est le 17 juillet 1837 que Fourier rencontre son rival, à
l’occasion d’un grand banquet organisé en l’honneur d’Owen et présidé par
Marc-Antoine Jullien, un éditeur libéral bien connu de Fourier 68 . Il y a plus de deux cents personnes; le
nom de Fourier figure sur la liste des « souscripteurs » (il paraît peu
vraisemblable qu’il l’y ait inscrit de son propre chef) et il semblerait que
Fourier et Owen aient été présentés l’un à l’autre par leurs disciples
respectifs. En de telles circonstances, on a du mal à concevoir qu’il ait pu y
avoir entre eux un échange d’une quelconque portée. On ne peut cependant
s’empêcher de se demander ce qui se passe dans la tête de Fourier le jour où il
se retrouve nez à nez avec l’homme dont il dénonçait avec vigueur, cinq ans
plus tôt, les « pièges et charlatanisme ».
Quinze jours après cette rencontre, Fourier assiste à une
réunion entre Victor Considerant et un certain nombre de disciples dissidents
qui trouvent à redire à la façon dont Considerant dirige l’École sociétaire 69 . Ce que veulent les dissidents, c’est la
coordination du mouvement au niveau national grâce à la création d’un «
Institut Sociétaire » qui renforcerait les liens entre les groupes fouriéristes
disséminés au quatre coins du pays. Considerant leur fait valoir que cette
proposition
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