Fourier
invités de choix,
parmi lesquels se trouve le physiologiste Broussais ; la conversation va bon
train, mais c’est en vain qu’Appert tente de faire sortir Fourier de sa
coquille : « Je l’aurais écouté avec tant d’attention sur son système »,
dira-t-il plus tard, « mais il parla peu et avait l’air de souffrir
intérieurement 54 ».
Si Fourier se confie à qui que ce soit dans ces années, c’est probablement
aux quelques femmes dont il apprécie tout particulièrement la compagnie. L’une
d’elles, Clarisse Vigoureux, est venue s’installer à Paris en 1832 et partage
avec sa fille Julie un grand appartement rue des Saint-Pères. Cet appartement,
où Victor Considerant, le fiancé de Julie, fait de fréquentes visites,
constitue probablement pour Fourier, vers la fin de sa vie, ce qui se rapproche
le plus d’un foyer ; mais il chérit trop son indépendance et sa solitude pour
accepter les invitations répétées que lui fait Clarisse d’emménager
définitivement dans une de ses chambres. Louise Courvoisier (veuve Lacombe) est
une autre grande amie de Fourier. C’est en 1832 qu’il a rencontré cette veuve
de Besançon dont le frère a occupé pendant un temps le poste de garde des
Sceaux de Charles X. Elle est dévouée à Fourier, et découvre en lui une
tendresse, une délicatesse et une générosité qui restent généralement cachées
au commun des mortels. Dans les quelques souvenirs de lui qu’elle publiera
après sa mort, il prend l’allure d’une figure christique qui vole au secours
des veuves désargentées et des servantes exploitées et qui cherche par tous les
moyens à combattre les maux de la civilisation là où ils se trouvent 55 .
Cependant, malgré toute son admiration pour Fourier, les
souvenirs de Louise Courvoisier demeurent assez vagues. La correspondance de
Désirée Veret est plus intéressante : lorsqu’elle fait la connaissance de
Fourier, en 1832, cette jeune couturière de vingt-deux ans a déjà goûté au
saint-simonisme et édité une revue intitulée La Femme libre, qui a d’ailleurs
joué un rôle majeur dans ce qu’Evelyne Sullerot a appelé « l’explosion féministe
des années 1831-1832 56 ». Quelque
cinquante ans plus tard, Désirée Veret se souvient encore comme si c’était la
veille de ses conversations avec Fourier, et des lettres qu’il lui écrivit à
partir de 1833 quand elle partit faire fortune à Londres :
Fourier fut un consolateur de chagrins pour moi comme
pour d’autres qu’il aimait. Ma jeunesse, mon enthousiasme social, mon
inexpérience de la vie, lui inspiraient des raisonnements puisés dans ses
théories sur la cause de ma tristesse. « Vous avez trop de passions dominantes,
m’écrivait-il. Elles ne peuvent se développer en civilisation, surtout
l’alternante que vous avez à un haut degré. » « Si je n’avais été un
valétudinaire, écrivait-il, que vous auriez dédaigné, je vous aurais fait
connaître mes sentiments, et si j’avais été riche, vous ne seriez pas partie,
car je vous ai beaucoup regrettée 57 .
»
On a perdu trace de la correspondance de Fourier à Désirée Veret,
mais il nous reste quatre des lettres qu’elle lui adressa d’Angleterre en 1833
et 1834 : à la fois denses et personnelles, elles évoquent pêle-mêle ses
aventures de cœur à Londres et ses contacts avec les owenistes ou Anna Doyle
Wheeler, une autre amie de Fourier.
Vous espérez, mon bon Monsieur Fourier, que l’amour
viendra me distraire. L’amour d’un Anglais ! Y pensez-vous ? Ils sont en cela
comme en mécanique, ils ne s’entendent qu’au matériel ou à un amour chimérique
qui ne peut exister que dans l’imagination. J’ai eu des amours ici, je puis
vous en faire la confidence, mais ils ne m’ont donné que des plaisirs sensuels
; les Anglais sont froids, égoïstes jusque dans leurs plaisirs, à l’amour, à la
table. Chacun ne pense que pour soi...
Il y a un saint-simonien italien nommé Fontana qui fait
tourner la tête aux dames oweniennes et fait faire la grimace à Mr. Owen, qui
n’est pas content de se voir enlever ses aimables converties ; j’ai envoyé
beaucoup de dames à ses prédications et toutes sont quasi saint-simoniennes.
Est-ce amour de la doctrine ou du prédicateur ? - Je ne sais...
Mon bon Monsieur Fourier, si vous n’étiez pas un grand génie, je
n’oserais vous écrire ces petites choses, je laisse aller ma plume, bien sûre
que rien n’est perdu pour vous et qu’au milieu
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