Fourier
pétitions. On a déjà
mentionné les lettres sur les mouvements de troupes et les affaires militaires.
Il y a aussi une proposition au ministère de l’Intérieur
suggérant le transfert à Arles de la foire de Beaucaire 53 : la proposition fut transmise à la
commission des foires et marchés du Conseil des Cinq-Cents, où elle fut reçue
avec le commentaire suivant : « un de ces rêves que la tête d’un négociant
aurait dû être la dernière à concevoir ». Il y a encore ces lettres aux
ministres des Affaires étrangères Delacroix et Talleyrand au sujet des traités
de paix et des frontières nationales 54 .
Il y a enfin une importante épître aux notables de Bordeaux à propos d’un plan
de rénovation de certains quartiers de cette ville 55 . En 1796 ou 1797, Fourier fait un ou plusieurs voyages à
Paris pour trouver un écho à ses idées. Il essaie aussi, semble-t-il, de se
gagner l’appui de Pierre-Joseph Briot, personnage déjà important de la vie
politique bisontine sous la Révolution, qui devait être élu au Conseil des
Cinq-Cents en avril 1798**. Rien ne sortit de ces efforts.
** Les archives des passeports à la Bibliothèque nationale
montrent qu’en décembre 1796 un passeport fut délivré au « citoyen Fourrier »
pour se rendre de Lyon à Paris, ANF7 6239A. Pellarin, dont la source est
apparemment ici les souvenirs de Désiré Ordinaire, assure que Fourier a fait le
voyage de Paris en 1797 afin de parler de ses idées au député Briot, qui se
révéla en fait « trop absorbé dans la tâche législative [...] pour étudier à
fond les plans de Fourier ». Pellarin, Fourier (5e éd.), 52. Comme Briot ne fut
élu au Conseil des Cinq-Cents qu’en avril 1798, ce voyage, s’il a eu lieu, n’a
pu avoir lieu que l’année suivante.
Il semble clair en tout cas qu’en 1797 Fourier n’a pas encore
fait ses découvertes cruciales. Pourtant, dans sa lettre de décembre 1796 à la
municipalité de Bordeaux, on le voit avancer que, lors de ses voyages à travers
la France, il a été si « frappé de la monotonie de nos cités modernes » qu’il a
conçu « le modèle d’un nouveau genre de ville » dessinée de manière à «
prévenir les grands incendies et bannir le méphitisme qui, dans les grandes et
petites villes, est une véritable guerre au genre humain ».
De telles propositions étaient monnaie courante à l’époque :
tout au long du XVIIIe siècle, on voit des philosophes inconnus de province en
soumettre de pareilles aux responsables gouvernementaux ou aux sociétés
savantes. Fourier, toutefois, est un philosophe de province peu ordinaire. En
1797-1798, ses spéculations prennent un tour nettement plus audacieux 57 . Dans la pauvreté urbaine et dans la
concurrence économique effrénée, il commence à voir les signes d’un mal social
plus profond. Les frustrations qu’il éprouve dans sa vie privée comme la misère
et le désarroi de la société au lendemain de la Révolution suffisent, dans son
esprit, à démontrer la futilité du mouvement révolutionnaire et à discréditer
les idées philosophiques qui en ont inspiré les meneurs. La Révolution
française a apporté la preuve spectaculaire de la vanité de toute la tradition
de la philosophie rationaliste des Lumières. La philosophie n’a eu de cesse
qu’elle n’ait imposé des normes rationnelles au comportement humain : ce
faisant, elle a réprimé et étouffé les passions. Son échec tient à ce qu’elle a
refusé d’accepter l’homme tel qu’il est. On peut changer les institutions, mais
non l’homme. Les passions ont été voulues par Dieu : il faut qu’elles
s’expriment.
La première tentative que fait Fourier de rassembler ses
spéculations en une vue d’ensemble de l’homme et de la société remonte à 1799.
C’est à cette date qu’il commence à concevoir sa communauté modèle non
seulement comme une expérience d’urbanisme ou de réforme économique, mais comme
le premier pan d’une théorie plus vaste de l’organisation de la société, où
chaque passion humaine aurait un exutoire. L’objectif qu’il se fixe désormais est
de perfectionner un schéma d’ « association naturelle » dans lequel la
satisfaction des passions et désirs de chaque individu concourrait au bien
commun. Il ne reste dans les archives qu’un seul compte rendu sur les « indices
et méthodes qui conduisirent à la découverte ». Fourier y passe rapidement sur
« le détail des recherches que
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