Fourier

[lui] coûta le problème de l’Association
naturelle ».
    Il se contente d’observer qu’il a fini par trouver un schéma
d’organisation de la communauté en petits « groupes passionnés » : dans de tels
groupes, « émulation, amour-propre, et autres véhicules compatibles avec celui
de l’intérêt particulier » font que chacun accepte de travailler pour le bien
de la société tout entière 58 .
    L'ensemble du schéma se fonde sur une théorie complexe des
motivations humaines, que Fourier nomme « le calcul géométrique de l’attraction
passionnée » et qui, assure-t-il, est « en tout point conforme » au principe
newtonien de l’attraction gravitationnelle.
    La percée décisive se produit en avril 1799. Fourier est alors
employé d’un négoce de Marseille. Quittant son emploi, il part pour Paris afin
d’y entreprendre les études scientifiques qu’il estime nécessaires pour «
compléter » et « confirmer » sa théorie. A Paris, il passe une grande partie de
son temps à la Bibliothèque nationale. De cette époque date, semble-t-il, une
de ses images favorites : la « chute » imminente des « quatre cent mille
volumes » de philosophie de la Bibliothèque nationale 59 . Il se peut également qu’il ait suivi des
conférences publiques (très populaires sous le Directoire) au Muséum de Paris,
au Lycée républicain, ou au Collège de France (où enseignaient notamment Cuvier
et Lalande 60 ). Il est par ailleurs
avéré que, dans ses lectures de l’époque, Fourier se concentre sur les
mathématiques et sur les sciences naturelles - sur des livres tels que
l’Histoire des mathématiques, de Montucla, ou l’Histoire naturelle des
poissons, de Castel, deux titres qu’on trouve griffonnés au dos d’une lettre de
change endossée par Fourier à Paris, en septembre 1799 61 .
    Au fur et à mesure qu’il avance dans ses études, Fourier se
persuade qu’il a trouvé enfin la clef de l’« énigme des destinées ». Il a
découvert non seulement comment satisfaire et harmoniser toutes les passions
humaines, mais aussi comment expliquer « les plans adoptés par Dieu » lorsqu’il
a assigné « passions, propriétés, formes, couleurs, saveurs, etc » à tout ce
qui existe ici-bas, dans le règne animal, végétal ou minéral 62 . Cette vision d’une « science totale »
qui expliquerait l’Univers dans sa globalité hantera Fourier pour le restant de
ses jours.
    Il a passé moins d’un an à Paris lorsqu’une série de « revers de
fortune » le force à abandonner ses études et à retourner travailler pour la
Maison Bousquet à Lyon. Fourier n’a jamais expliqué la nature exacte de ces «
revers de fortune ». Sans doute s’agit-il, entre autres, de la perte de ce qui
lui restait d’argent après le siège de Lyon 63 .
En juin 1800, peu après le coup d’Etat qui a porté Bonaparte au pouvoir,
Fourier reprend donc le chemin de Lyon, où il va retrouver sa place dans « le
bagne du commerce ».

CHAPITRE III
De la réforme architecturale
au système universel
    Jusqu’à la fin, la pensée de Fourier gardera l’empreinte de
cette période où elle connut sa première cristallisation, l’époque de la
réaction thermidorienne et du Directoire. Trente ans plus tard, on le verra
encore poursuivre de ses invectives les accapareurs et les agioteurs, ces bêtes
noires de l’économie sous le Directoire, et illustrer son procès contre le commerce
d’exemples tirés des années 1790. On est bientôt sous l’Empire, puis sous la
Restauration, mais c’est toujours aux idées politiques et aux symboles de la
Révolution que Fourier continue à s’en prendre. Pour lui, Robespierre sera
toujours « le bourreau d’Arras », Marat un « buveur de sang » et Sparte, modèle
de la nation démocratique en armes, rien d’autre qu’« une ligue de moines
ambitieux et tyranniques, vivant dans l’oisiveté aux dépens des Ilotes qu’ils
massacraient pour prix de leurs services 1 ».
    La spéculation effrénée et les pénuries du Directoire figureront
toujours chez Fourier à une place de choix dans « le mauvais rêve », comme il
l’appelle, de la civilisation. C’est toutefois l’idéal de l’ascétisme
républicain qui va devenir pour lui le cauchemar politique par excellence.
Jamais, dans ses écrits, il ne manque une occasion d’étaler au grand jour
l’hypocrisie d’un Robespierre ou de dénoncer Caton, ce prototype du républicain
vertueux, qui n’était en réalité