Fourier
déjà quatre ans, écrit-il, qu’il
s’occupe d’une « étude des bévues de la distribution matérielle des édifices
civilisés ».
J’avais été si frappé de la laideur des villes de Rouen et
de Troyes, que j’ai conçu le plan d’une ville fort différente des nôtres, dont
j’expliquerai la distribution (garantisme). Ce plan, que j’ai reconnu depuis
pour invention très précieuse, entraînait des innovations dans l’ordre
domestique et acheminait par degré à l’invention du calcul des séries
passionnées 8 .
On trouve une version de ce plan, qui marque les débuts de la
carrière d’utopiste de Fourier, dans la lettre qu’il adresse en décembre 1796
au gouvernement municipal de Bordeaux.
Le grand nombre d’étrangers qui visitent Bordeaux,
explique-t-il, en font le lieu idéal pour établir une cité modèle susceptible
d’inspirer les planificateurs urbains et de les amener à améliorer le dessin «
mesquin » et « insipide » de la plupart des cités nouvelles établies au cours
du XVIIIe siècle en Europe ou en Amérique.
Je remarque que la ville de Bordeaux était un lieu de grand
abord pour les étrangers, elle serait très convenable pour offrir à toute la
terre le modèle d’un nouveau genre de villes construite bien différemment des
Petersbourg, Philadelphie, Nancy, Mannheim, Carslruhe et autres mesquineries.
Modèle qui dans cet emplacement serait à portée d’être vu d’un grand nombre d’Américains
et de corriger les idées de cette nation qui bâtit quantité de villes, toutes
plus insipides les unes que les autres.
Fourier évoque ensuite les avantages d’un tel plan.
Les règlements que j’ai établis rendraient une ville
beaucoup plus saine que la plupart des villages parce qu’il serait impossible
au peuple de s’entasser dans des cloaques infects tels que les masures des
quartiers pauvres et que la population ne pourrait faire masse dans aucun
quartier.
Fourier poursuit en édictant un ensemble de règles qui, il a
beau insister sur l’originalité de ses idées, reflète en réalité une
préoccupation largement partagée à l’époque : la ville doit avoir des
proportions correctes, un espace ouvert, une libre circulation de l’air.
Il sera créé une commission d’Architecture, chargée de
surveiller la construction des édifices tant publics que particuliers. Aucune
maison ne pourra être construite sans qu’elle ait reconnu le plan conforme aux
règles adoptées [...]. La commission pourra exiger sinon du luxe dans les
bâtiments, du moins une élégante simplicité [...]. Toute maison doit avoir dans
sa dépendance au moins autant de terrain vacant qu’elle en occupe en surface de
bâtiments [...]. Le moindre espace d’isolement entre deux bâtiments doit être
au moins de six toises [...]. Cet espace augmentera en proportion de la
grandeur des bâtiments [...]. L’espace d’isolement doit être au moins égal à la
demi-hauteur de la façade devant laquelle il est placé [...]. Sur la rue, les
bâtiments ne pourront s’élever qu’à une hauteur égale à la largeur de la rue 10 .
Le principal souci de Fourier semble avoir été d’ordre
esthétique. Dans la présentation qu’il fait de son plan aux édiles de Bordeaux,
il souligne toutefois que, si un tel plan rendrait les villes plus agréables à
regarder, il comporterait également des avantages sociaux « plus précieux » :
moins d’entassement, de risques d’incendie ou de propagation des maladies
contagieuses. Ce projet pour la ville de Bordeaux n’est qu’un fragment d’un plus
vaste plan de rénovation de l’architecture urbaine, dont Fourier a déjà
esquissé les grandes lignes avant la fin de 1796*.
* Fourier le dit explicitement dans son introduction à son
mémoire à la municipalité de Bordeaux : « Frappé de la monotonie de nos cités
modernes, j’ai imaginé un plan absolument différent des plans qui sont en vogue
depuis quelques années. Je ne vous le communiquerai pas en entier, vu que je
m’y suis beaucoup attaché à l’ornement des dehors et qu’il ne s’agit ici que
d’un quartier dont les alentours sont déjà faits. » AN 10AS 15 (18), p. 1. Le
plus vaste plan devait trouver plus tard sa place dans le système de la
maturité de Fourier comme une des propositions réformistes susceptibles de
faciliter une transition graduelle de la civilisation à l’Harmonie. Voir OC X,
PM (1851), 17.
On sait par les écrits plus tardifs de Fourier
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